Les violences sexuelles imprègnent notre société. Le mouvement sportif n’est pas épargné par ce fléau, la proximité qui y est possible avec des publics jeunes ainsi que l’investissement émotionnel de ses acteurs sont autant de facilitateurs pour les prédateurs sexuels. Sebastien Boueilh , rugbyman victime durant sa jeunesse, a décidé d’en faire le combat de sa vie et permet aujourd’hui à tout un milieu de briser l’omerta.
Le mouvement sportif n’est pas épargné pas les violences sexuelles. Loin de là. Les différentes affaires qui ont été divulguées aux yeux du monde ces dernières années, faits impliquant jusqu’au plus haut niveau de certaines fédérations, ont levé un tabou et permis d’imposer une triste réalité : la proximité qui y est possible avec des publics jeunes ainsi que l’investissement émotionnel de ses acteurs sont autant de facilitateurs pour les prédateurs sexuels. Face à ce constat aujourd’hui indéniable, un homme, lui aussi victime de violences par le passé, s’est engagé pour prévenir et lutter contre ces situations. Cet homme, c’est Sébastien Boueilh.
Un colosse aux pieds d’argile. C’est avec ces mots que son avocat a décrit son imposant rubgyman de client. Car Sébastien Boueilh a toujours été passionné de rugby et en pratique depuis son plus jeune âge. Un amour indéfectible à une exception près. Une année de sa vie en l’occurrence, celle suivant la libération de sa parole sur les violences sexuelles subies durant son enfance. En effet, Sébastien Boueilh a subi des agressions sexuelles de ses onze à ses seize ans par le mari de sa cousine, agresseur qui l’emmenait à tous ses entrainements de rugby. Le traumatisme fut tel qu’il lui aura fallu dix-huit ans pour sortir du mutisme émotionnel qui lui servait alors de bouclier. Son prédateur, un dénommé Cricket, était très apprécié de son entourage et de sa famille, et possédait en apparence toutes les qualités faisant de lui le dernier des coupables potentiels. L’autorité et la reconnaissance que possédait alors son prédateur aux yeux de ses proches ont poussé l’enfant que Sébastien était à se murer dans le silence. La honte a pris le dessus sur la détresse. En 2009, cependant, dix-huit ans après et fort de l’aveu d’un de ses camarades de l’époque ayant vécu les mêmes épreuves que lui, il décide de se libérer du poids de son histoire. Il en parle à sa famille. Il décide de porter plainte. Quatre ans plus tard, son agresseur est condamné à dix ans de prison. Une décision de justice qui agit comme une renaissance pour l’homme plus apaisé qu’il est devenu : à la suite du délibéré, Sébastien décide de consacrer l’intégralité de son temps à la lutte contre les violences sexuelles envers les jeunes dans le milieu sportif.
L’association de Sébastien, « Colosses aux pieds d’argile » - la formule de son avoué a fait mouche - voit le jour en 2013. Son objectif ? La prévention contre les risques de pédocriminalité dans le milieu du sport. Sujet sensible : la relation entraîneur-entrainé possède des caractéristiques augmentant les risques. Autorité de l’entraineur sur l’entrainé, relation de dépendance au résultat sportif et donc à l’entraineur ou encore investissement émotionnel. Au-delà de la relation entraineur-entrainé, ce sont l’ensemble des interactions pouvant amener à des abus qui sont pris en main par l’association, comme le bizutage de sportif à sportif par exemple. L’association sensibilise mais accompagne également les victimes sur l’aspect juridique et psychologique. Cela fait bientôt dix ans que ceux que l’on appelle désormais « les Colosses » interviennent dans le milieu sportif auprès des clubs, des institutions, des sportifs professionnels, des fédérations etc., pour faire entendre leur voix. Le résultat est sans appel : les témoignages se multiplient, attestant de l’ampleur de la situation. Depuis la création de l’association, sur 220 000 enfants sensibilisés, 5000 témoignages ont été reçus. Cette année 2022 aura permis 1220 interventions, 42 735 personnes sensibilisées et 317 victimes accompagnées ; et l’année n’est pas terminée. Si l’on ajoute à ce constat les victimes n’étant pas encore en capacité de s’exprimer et celles n’ayant pas encore connaissance de l’association, le calcul du nombre de victimes potentielles au sein du mouvement sportif devient vite vertigineux. Insoutenable.
Le combat de Sébastien et de ses Colosses est devenu incontournable. Cette association reconnue d’utilité publique est aujourd’hui une référence dans le milieu sportif. Depuis que Sébastien et son équipe ont commencé leur combat, c’est tout un mouvement qui a été bousculé et qui prend progressivement la réelle mesure des événements. En 2018, l’ancienne ministre Roxana Maracineanu a ainsi reçu le rugbyman. Un entretien qui a débouché sur une politique de renforcement des actions de lutte contre les violences sexuelles à grande échelle. Le contrôle d’honorabilité annuel des éducateurs, notamment, a été rendu obligatoire. Ce contrôle est une vérification par une cellule dédiée des antécédents de chaque éducateur et éducatrice sur ces sujets, notamment au travers du casier judiciaire et du FIJAISV (Fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes). Ce contrôle permet de lutter contre une hérésie pourtant loin d’être rare, à savoir le retour de personnes reconnues coupables par la justice dans le système associatif sportif, en toute impunité.
Pour prévenir ces situations et perfectionner leur capacité à agir aux côtés des victimes, près d’une cinquantaine de fédérations se sont associées à Colosse aux pieds d’argile. Depuis 2019, la FFME est l’une d’entre elles. Mais quel est le rôle exact d’une fédération face à un signalement de violence sexiste et sexuelle ? Beaucoup de fantasmes entourent la capacité d’action des fédérations qui, si elles ont bien des devoirs, ne peuvent pas avancer seules aux côtés des victimes. Premièrement, les fédérations ont pour devoir de mettre en place la transmission automatisée des données permettant ainsi à l’administration de procéder au contrôle d’honorabilité. La FFME a, en ce sens, modifié ses statuts et met les outils en place pour s’y conformer. De plus, la fédération a mis en place une adresse électronique spécifique de signalement (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.) et a élargi son objet social pour pouvoir se porter partie civile auprès des victimes. La FFME a une ligne de conduite très claire : la transmission systématique des faits dont elle a connaissance aux autorités responsables. Enfin, les dirigeants fédéraux ont l’obligation de présenter leur B3 avant élection.
Au-delà de leur engagement au niveau national, le rôle des fédérations est également d’informer et de sensibiliser ses forces locales sur les risques en présence et les moyens de les traiter. Mais, alors, que peut-on faire en tant que ligues, comités, ou club ?
« Il est du devoir du mouvement sportif de lutter contre ces violences et cela passe par une première étape, qui est celle de reconnaître et de ne pas minimiser ces violences », conseille Sébastien. Cela passe par de la transmission d’informations et de la sensibilisation. Après cette étape cruciale de reconnaissance du problème, il s’agit de mettre en œuvre une lutte concrète qui passe par une veille collective au sein de son organisation. Il s’agit, pour un club par exemple, de s’associer avec Colosse aux pieds d’argile pour faire de la prévention, de la sensibilisation et de la formation afin d’apprendre les bons réflexes à adopter. Le club peut également prendre connaissance des outils créés par l’association (voir ressources à la fin de l’article). À l’échelle du licencié, plusieurs cas de figure peuvent apparaitre. En premier lieu, il est possible d’être dans une posture où vous suspectez une relation de violence. À ce moment-là, il est important de ne pas enquêter vous-même mais plutôt d’en parler au ou à la président(e) du club et d’aller faire un signalement auprès des services déconcentrés juridiques (DRAJES et SDJES), de la fédération ou à Colosse aux pieds d’argile directement.
Autre cas de figure. Vous êtes un éducateur ou une éducatrice et vous vous demandez comment vous comporter pour prévenir les cas de violence. Dans le cadre de votre activité, il est nécessaire de garder une juste distance avec les mineurs encadrés, notamment ne pas faire la bise, placer le mineur à l’arrière en cas de trajet de voiture à deux, essayer d’identifier les changements de comportements des jeunes, changements qui pourraient traduire des cas de violence…). Enfin, si vous êtes victime, il y a un maître mot : parler. Parler à un adulte, un professionnel ou même, si cela est possible, à une autre personne ayant vécu des traumatismes similaires. Se sentir compris est l’un des axes majeurs de la déculpabilisation, comme l’histoire de Sébastien en témoigne et un premier pas incontournable.
Si le sujet est bien plus assumé aujourd’hui dans le milieu sportif, ce n’est que le début du combat. La prochaine sortie d’un film sur l’histoire de Sébastien Boueilh avec Éric Cantona pour incarner son rôle, permettra probablement au sujet d’acquérir encore plus de visibilité et ainsi accompagner les victimes dans la libération de leur parole. Sébastien le répète d’ailleurs comme l’un des crédos de son combat : la honte doit changer de camp.
Crédits photos : Orcelia Jane (travail graphique)