C’est au cœur de Wadi Rum, en Jordanie, que s’est rendue l’équipe du Roc Aventure Programme (RAP) du 28 janvier au 18 février dernier pour son 3e stage, dont le thème était l’ouverture d’une grande voie. Une vingtaine de jours durant lesquels les six jeunes grimpeurs de l’équipe ont beaucoup appris. De leur labeur commun est née la Voie du Cœur, vertigineuse ligne de 12 longueurs désormais installée sur la face Est de Jebel Rum. Retour sur cette aventure collective.
" Vaste, retentissant, divin ". C'est ainsi que Thomas Edward Lawrence, plus connu sous le nom de Lawrence d'Arabie, a qualifié Wadi Rum, désert aux apparences lunaires de sables ocres parsemés de roches de grès rouges lasurées de beige. Encadrés par Jonathan Crison et Arnaud Petit et accompagnés de Gaël Bouquet des Chaux pour les images, Solène Amoros, Eline Le Menestrel, Guillaume Colin, Romaric Geffroy, Thoma Meignan et Eloi Peretti, les six membres de cette promotion 2019/2020 du RAP, souhaitaient ouvrir une ligne au milieu de la zone déversante de la face Est de Jebel Rum.
Le RAP est un programme de la FFME qui propose à six anciens compétiteurs de haut niveau de franchir et d’apprivoiser, le temps de deux années de formation, l’ensemble des facettes de l’escalade. « Le Roc Aventure Programme fait le lien entre le monde de la résine et celui du rocher, assure Jonathan Crison, conseiller technique national. (Plus d’infos)
C’est Arnaud Petit qui a proposé cette destination à l’équipe : « J’apprécie en effet beaucoup ce site, qui possède en plus de nombreux atouts pour ce type de stage. D’une part, plusieurs lignes sont encore à ouvrir, dont une au centre d’une paroi magnifique, à côté de la petite ville de Rum, c’est là que la Voie du Cœur est née. Et puis, le rocher de ces falaises est constitué d’un grès très fragile, comme il n’y en a que très peu en France. Nous avons dû nous creuser les méninges pour trouver le bon matériel pour nous assurer. »
Ce n’est qu’arrivé au pied du rocher, pour le premier jour d’ouverture par le bas, que l'ensemble de l'équipe a vraiment pris conscience de l’ampleur de la tâche : « Je me rappelle très bien de cette journée, rapporte Thoma Meignan, car c'est moi qui ai commencé à ouvrir la deuxième longueur. Si au début tout s’est bien passé, j'ai rapidement passé la main à Jonathan Crison pour un passage délicat. Une pierre est partie au premier pulse posé [le pulse est une innovation matérielle récente permettant un amarrage amovible, N.D.L.R.]. Puis, j’ai vu le deuxième pulse commencer à glisser de son trou quand Jonathan s’est reposé dessus. Ce jour-là, nous avons compris que la pause régulière d’un goujon [ le goujon est un amarrage inamovible, N.D.L.R.] n’était pas superflue. Puis, au fur et à mesure des jours d’ouverture, nous avons appris que lorsque la qualité du caillou est disparate, il suffit parfois de décaler un peu le point d’ancrage pour que celui-ci devienne bon. »
L’ouverture est allée bon train, chacun oeuvrant pour ce projet collectif, jusqu’à ce qu’une tempête surprenne toute l’équipe, dans la dernière partie de la phase d’équipement. Une journée qu’Eloi Peretti n’est pas prêt d’oublier : « Pour les dernières longueurs d’ouverture, nous avions décidé de rester dormir dans la face. Nous avons donc hissé portaledges, eau, nourriture et matériel nécessaires aux deux jours à venir. Je me souviens qu’il faisait chaud, les sacs se coinçaient régulièrement. Mais plus on montait, plus le ciel se couvrait.».
« Après trois heures de hissage, nous sommes finalement arrivés à la vire, juste à temps pour nous abriter du déluge. Nous sommes alors restés assis sur notre corniche, en espérant que ça se calme. Eline a même sorti son ukulele pour détendre l'atmosphère. ». Mais le grès, quand il est humide, devient encore plus fragile. Dépités, les grimpeurs ont finalement profité d’une accalmie pour redescendre.
Finalement, la voie du cœur a été ouverte en 11 jours. Solène Amoros se remémore les derniers mètres d’équipement : « C’est un de mes meilleurs moments du stage : atteindre le sommet de la face après avoir fini d’équiper la 12e et dernière longueur dans une mini fissure en plein centre de la face. Merci à toute l’équipe de m’avoir laissé le finish ! Une belle récompense après toutes ces longues heures à hisser le matos, à coller des points ou encore à apprivoiser des dalles lisses en me convaincant que je peux pousser sur des pieds invisibles en gardant le bassin près du rocher ! »
La rapidité de cette ouverture a laissé à toute l’équipe l’occasion d’enchaîner toutes les longueurs de La voie du cœur, d’affiner les cotations et même de s’offrir quelques extras, comme en témoigne Romaric Geffroy : « A notre dernier jour de grimpe dans le Wadi Rum, nous sommes partis avec Thoma et Jonathan en guide dans la grande classique sur spits du désert : la Guerre Sainte (7b/450m). Nous étions fatigués de ce stage, mais pas assez pour laisser passer l’opportunité de gravir une des voies parmi les plus belles du monde. Forts de ces semaines sur le grès de Jordanie nous avons avalé cette voie en moins de 4 heures. En récompense, nous nous sommes offerts du temps, au sommet, pour admirer le paysage ! »
Au bilan, ce stage d’équipement a rempli son objectif. Les jeunes ont passé en revue toutes les manips utiles en grandes parois : fixer des cordes, monter au jumar, hisser les sacs ou encore bivouaquer sur la face.
« Jonathan et Arnaud nous ont appris un paquet de techniques et d’astuces pour équiper du mieux possible, avec efficacité et sécurité. Je pense que nous sommes tous ressortis avec l'idée que ces techniques sont en constante évolution et que tout peut être amélioré et optimisé suivant le projet mené, explique Guillaume Colin. Je me suis délecté des longues discussions le soir avec les grimpeurs de l'équipe et d’autres grimpeurs étrangers croisés au cours du stage. Chacun nous partageait ses techniques que nous nous empressions d’essayer le lendemain ! »
Pour Eline Le Menestrel, ce stage a surtout permis de souder l’équipe : « La qualité du rocher, très changeante et imprévisible nous a appris à penser au groupe avant de penser à nous-même. Vivre cet esprit d’équipe est une des plus belles choses que ce stage m’a apporté. La complexité de ces conditions d’ouverture m’a permis d’apprendre énormément en terme de lecture de la qualité du rocher et choix de type de protection. Ce fut très riche en émotions, un des meilleurs trips de grimpe de ma vie ! »
« Il est clair que les jeunes se sont tous vraiment bien investis, se félicite Jonathan Crison. Ils ont joué le jeu et se sont donnés les moyens de réaliser leur projet qui nécessitait un bon feeling de grimpe. La voie du cœur est une ligne soutenue dans le 7e degré avec une cotation maximale en 7c+. Elle a déjà été répétée et appréciée. L’équipe du RAP peut être fière. » Une aventure que ces quelques mots de Thomas Edward Lawrence pourraient parfaitement résumer : « Nous étions liés d'affection à cause de l'immensité des libres espaces, de la saveur des vents sans limites, de l'éclat du soleil et des espoirs pour lesquels nous œuvrions. »
Le prochain stage du RAP devrait se tenir cet automne sur la thématique « Big Wall »
Crédits photos : Gael Bouquet des Chaux