De la résine au rocher, il n’y a qu’un pas. Le Roc Aventure Programme propose à six anciens compétiteurs de haut niveau de le franchir et d’apprivoiser, le temps de deux années de formation, l’ensemble des facettes de l’escalade. Grande Voix les a suivis durant leur stage d’escalade traditionnelle et de grimpe en fissure, qui se déroulait dans le Yunnan chinois, du 18 octobre au 5 novembre derniers.
Si la compétition en escalade a depuis quelques décennies maintenant délaissé le rocher pour la résine, la discipline continue de puiser ses forces extraordinaires dans ses racines, denses et nourricières, que sont les falaises et autres rochers du monde. Car c’est bien là l’essence de la grimpe, la clé de voute de notre activité.
Le Roc Aventure Programme (RAP) est né du constat que nombre de jeunes compétiteurs, issus du monde de la résine, n’avaient pas toujours les moyens, ni forcément le réflexe de faire la connexion avec celui, pourtant complémentaire, du rocher.
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« Le Roc Aventure Programme fait le lien entre le monde de la résine et celui du rocher. »
Jonathan Crison,
Conseiller technique national
« Par ce programme, la fédération permet à certains de ses meilleurs compétiteurs de s'ouvrir aux différentes formes de l’escalade, notamment les grandes voies, le terrain d’aventure, l’ouverture et le rééquipement des falaises », témoigne Jonathan Crison, responsable du projet, qui n’a pas eu à convaincre longtemps Arnaud Petit de le suivre dans cette aventure.
« Il y a un an, Jonathan m’a proposé de le soutenir dans l’encadrement de ce groupe, se rappelle Arnaud Petit. J’étais ravi car ce programme permet aux jeunes de s’ouvrir à des facettes de l’escalade moins connues, moins médiatisées, mais pourtant particulièrement techniques et indispensables pour être un grimpeur polyvalent. La grimpe en fissure et l’ouverture de voie en font partie, et représentent ce qui me plait le plus dans l’escalade. C’était donc tout naturel pour moi de participer au RAP et de transmettre mon expérience sur ces techniques qui me passionnent ».
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« L’objectif, c’est que ces jeunes deviennent des ambassadeurs de la diversité de l’escalade, et qu’ils transmettent leur passion dans les clubs »
Arnaud Petit,
Encadrant du RAP
S’il a mis quelques années à murir, voilà maintenant deux ans qu’il est lancé. Cette année, une nouvelle promotion a vu le jour. C’est une équipe de six jeunes adultes, anciens membres des équipes de France jeunes ou seniors : deux femmes (Manon Barnier et Dora Sulinger) et quatre hommes (Tom Durel, Julien Forgue, Tristan Roguiez et Robin Valet), chacun sélectionné sur dossier, en avril dernier, en fonction de leurs résultats en compétitions internationales. Le pré-requis ? Avoir participé au minimum à une étape de Coupe du monde d'escalade ou un Championnat de France d'escalade entre 2012 et 2017.
Au menu des deux années de formation, cinq stages qui permettront de préparer une grande expédition, à Madagascar, en juin 2018. Le premier rendez-vous s’est tenu en mai dernier, sur les grandes voies équipées de Corse. Le deuxième, c’était en septembre : les jeunes ont été formés aux techniques de base d’équipement, du rééquipement et de l’entretien des sites naturels d’escalade. Ainsi, durant cinq jours, ils ont bichonné le secteur historique dit « de droite », du site de Krappenfels Lutzelbourg en Alsace.
« C’est plaisant de rééquiper des voies, et ça donne les clés pour devenir acteur de son activité. L’ouverture et le rééquipement des voies participent au développement de l’escalade. Le stage devait leur faire sentir cet équilibre, avec le souhait qu’il y ait un effet boule de neige dans les clubs », poursuit Arnaud Petit.
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« Apprivoiser l’entretien des sites est indispensable, pour reconnecter ces grimpeurs à la réalité de l’escalade sportive, qui nécessite des équipements de qualité »
Arnaud Petit,
Encadrant du RAP
Fin octobre, nos six jeunes sont partis trois semaines se frotter aux fondamentaux de l’escalade traditionnelle, sur le site encore méconnu de Li-Ming dans la Région du Yunnan (Chine), aux contreforts de l’Himalaya.
« Les objectifs de cette première « expédition lointaine » étaient de former ces anciens compétiteurs à la progression en terrain d’aventure en toute sécurité, ainsi qu’aux techniques de fissures, le tout pour les préparer à notre prochaine expédition », détaille Jonathan Crison.
C’est donc dans un écrin préservé (parc national de Li-Ming), à quelques 2000m d’altitude et sur fond de toit du monde, que nos six jeunes ont découvert les « plaisirs » de la fissure et de l’escalade traditionnelle. Pour ce stage, l’équipe a élu un site somptueux, encore confidentiel et éloigné des hauts lieux touristiques. Ses falaises de grès rouge contrastant au vert profond des forêts les entourant, ont séduit tout le monde par leur authenticité et leur prometteuse verticalité.
« Je trouve qu'il n'y a pas de rocher plus agréable à grimper que le grès, confie Arnaud Petit. Très adhérent et sans angle vif, cela rend les coincements en fissure presque confortables. »
« Comme nous l’avions un peu anticipé avec Arnaud, les premiers jours furent compliqués pour les jeunes. L’escalade traditionnelle, de surcroît en fissure, n’a pas grand-chose à voir avec la résine ! Leurs repaires techniques étaient chamboulés », témoigne Jonathan Crison.
« Ca n’a pas été facile pour eux, au début, de ne pas réussir à enchainer des voix dans le 6e degré. Puis ils ont vite compris que quand on débute quelque chose de nouveau, il faut commencer au bas de l’échelle. Et que le 5c, en fissure, c'est déjà très dur, enchaine Arnaud Petit. Comme pour tout apprentissage, c’est déstabilisant, puis tu élargis ton champ de vision, tu te contentes de petits progrès de jour en jour. »
Finalement, la frustration s’émousse, la passion reprend le dessus, et l’engagement, propre à cette escalade authentique, diffuse sa saveur pimentée, et addictive. Les jeunes ont joué le jeu : après les doutes des premiers jours et l’assimilation des aspects les plus techniques de cette escalade, les progrès étaient évidents. « Au retour du stage, je sais que la plupart d’entre eux sont mûrs pour s’attaquer à des voies mythiques, comme celles d’El Capitan, au Yosemite », affirme Arnaud Petit.
Et si finalement, c’était le contenu des assiettes qui aura été le principal challenge pour ce stage du RAP ? « Dans cette province chinoise, personne ne parle anglais, témoigne Jonathan Crison. Difficile donc de se faire comprendre dans les restaurants. Les premiers jours, nous avons donc dû nous contenter de riz, accompagné… de riz. »
Puis s’aventurant dans quelques échanges maladroits avec des restaurateurs amusés, l’équipe a finalement pu agrémenter ses bols de riz de scorpions grillés, et autres croustillantes surprises protéinées, subtilement épicées.
« Nous remercions l’équipe, d’avoir vraiment joué le jeu au niveau de la sécurité. Ils sont prudents, et c’est encourageant pour la suite », conclut Jonathan Crison. Et quitte à avoir un grimpeur de la trempe d’Arnaud Petit sous le bras, nous lui avons demandé : Arnaud, où est-ce qu’on peut faire de la belle escalade traditionelle en France ?
Crédits photos : FFME / Création graphique : Lucas Boirat