Respect de l'environnement et pratique sportive : deux notions qui ne sont pas toujours, forcément, complémentaires. Un genre de paradoxe qui questionne, fait réfléchir, ouvre les débats. Peut–on grimper, skier, descendre des canyons sans impacter le milieu naturel qui nous entoure ?
Un questionnement qui en amène d'autres : quel avenir pour ces pratiques sans aucune prise de conscience de la richesse des écosystèmes qui nous entoure ? Mais aussi comment concilier plaisir et raison en réduisant l'impact du montagnard sur son terrain de prédilection ? Si nous n'en sommes qu'au début de cette réflexion environnementale collective, voici quelques exemples d'actions déjà effectives pour que riment pratiques sportives d'extérieure et respect de l'environnement.
Incontestablement, les pratiquants de sports de nature sont sensibles aux milieux qu'ils fréquentent. Pourtant, il reste néanmoins des gestes, des habitudes qui mériteraient d'évoluer. Limiter son impact sur l'environnement est un combat de tous les jours que ce soit pour les néophytes, les inconditionnels ou les professionnels. S'il est évident que tant qu'il y aura des sportifs sur les falaises, les blocs, les pentes enneigées et dans les canyons, l'environnement sera impacté, il est tout de même essentiel de faire son maximum pour limiter les traces laissées. Si le débat est très actuel, la FFME, s'intéresse depuis longtemps à ces sujets, également relayés par les clubs et les associations. Voici quelques pistes de réflexions, déjà bien engagées, qui ne demandent qu'à être davantage explorées.
Cohabiter avec la faune
Que ce soit en falaise, sur une pente blanche ou au milieu d'un canyon, il faut se rendre à l'évidence, le pratiquant doit partager l'espace avec la faune locale. Présente bien avant l'homme, c'est son habitat naturel. Respecter les hôtes de ces endroits est un devoir, une nécessité. Pour Sylvie Viens, Directrice technique adjointe de la FFME, chargée de la vie territoriale, « c'est un enjeu important si nous souhaitons continuer à pratiquer nos sports le plus longtemps possible dans des conditions intéressantes. » En escalade justement, parmi la singulière faune rupestre, deux espèces endémiques sont particulièrement menacées par la pratique, si rien n'est mis en place : le faucon pèlerin et le vautour fauve. S'ils sont dérangés pendant la nidification, ils abandonnent leurs petits et mettent en péril la survie de l'espèce. Or, il n'est pas rare que leurs aires se trouvent à proximité, voire en plein milieu, d'une voie d'escalade. Dans l'optique de préserver ces espèces, dans de nombreuses régions, des initiatives locales entreprises entre les ligues, les comités territoriaux et la LPO locale (ligue pour la protection des oiseaux) visent à fermer certaines voies et secteurs pendant les périodes de nidification. Elles peuvent s'étendre de janvier à août. Les sites fermés sont relégués sur tous les réseaux de la FFME et certains bénéficient de petites pancartes explicatives pour sensibiliser les pratiquants.
Parfois, la coopération entre les deux institutions va plus loin, comme en Normandie, où les grimpeurs aguerris sont sollicités par la LPO pour faire des relevés sur des nichoirs, accessibles seulement depuis les falaises. L'objectif étant de pouvoir suivre et recenser l'évolution de ces populations fragiles. L'hiver, dans une démarche similaire, la FFME et ses antennes régionales échangent avec la LPO pour informer les pratiquants de ski alpinisme sur les zones privilégiées par les tétras-lyres. Certains de ces espaces sont identifiés grâce à des panneaux explicatifs. Dans une optique similaire, le Parc National de la Vanoise et les Parcs Naturels des Bauges et de la Chartreuse se sont réunis autour du programme de coopération internationale, « Be part of the Mountain », qui consiste, à travers des rencontres, animations, ateliers, points d'observation naturalistes, à informer, sensibiliser et favoriser une meilleure coexistence entre vie sauvage et activités de pleine nature.
En canyon, la fréquentation en hausse pousse aussi vers la mise en place d'actions visant à protéger le milieu naturel. En Lozère, par exemple, la pratique nocturne est désormais soumise à une règlementation spécifique, dans le but de laisser une période de tranquillité aux animaux.
Préserver la flore
À la fois plus discrète mais aussi plus visible que la faune, la flore rupestre mérite qu'on y prête attention. Il y a déjà quelques années, à Presles, une plaquette d'information, présentant les plantes en danger, vulnérables, protégées et quasi menacées a été mis à la disposition des grimpeurs pour les sensibiliser aux espèces végétales croisées sur les chemins, aux pieds des parois ou dans les voies. Avec son guide « Ze Flore et faune », le département de l'Isère a conçu le même outil informatif. Comprendre et connaître son environnement est une des clés pour s'engager dans sa préservation. La protection de la faune passe aussi par l'utilisation des sentiers pour rejoindre les sites. Des pancartes et des panneaux explicatifs tendent à éveiller les consciences à ne pas piétiner les espaces sauvages. Car marcher sur un sol végétalisé, c'est forcément l'abimer.
En canyon, certaines associations de professionnels s'engagent à favoriser la nage à la marche, dès que cela est possible, pour éviter les contacts avec le sol et ainsi limiter sa détérioration précoce.
Optimiser les déplacements
« Le plus gros problème que nous ayons identifié pour le moment est lié aux transports », explique Sabine Steenstrup, présidente de la commission développement durable de la FFME. C'est pour pallier à ce constat que la fédération encourage, depuis de nombreuses années, ses salariés et élus à utiliser les transports collectifs ou à covoiturer. Au début des années 2010, Claude Fulconis, élu de la ligue PACA, avait même développé un outil permettant de calculer son bilan carbone pour se rendre sur une compétition, avec pour objectif de faire mieux la fois suivante. Repris par le ministère des sports et à l'origine de la plateforme Optimouv', aujourd'hui principalement utilisée pour les sports collectifs, ce concept était assez novateur.
Si les institutions se mobilisent, les sportifs reconnus donnent aussi de la voix. Avec le manifeste ACTS (Action Collective de Transition pour nos Sommets), le collectif représenté, entre autres, par Kilian Jornet, Mathéo Jacquemoud, Liv Sansoz, Tommy Caldwell et Seb Bouin, propose dix engagements pour réduire son impact carbone. Train, vélo, covoiturage : l'idée n'étant pas de plus bouger mais de le faire différemment.
Compétitions responsables
Pour la FFME, les Championnats d'Europe de Bercy, en 2008, ont fait office de signal d'alarme. « On s'est aperçus que nos solutions en matière de recyclage étaient faibles et que beaucoup de choses étaient jetées une fois la compétition terminée, se souvient Sylvie Viens. Dès 2012, nous avons changé nos façons de faire en pensant en amont qu'elles seraient les secondes vies du matériel utilisé dans le cadre des compétitions. C'est ainsi qu'à la fin des compétitions nationales du matériel est désormais donné à des clubs ou des structures d'escalade alors qu'une autre partie est mise de côté pour être réutilisée sur d'autres évènements. »
De plus, les compétitions organisées au niveau national, comme les Coupes du monde d'escalade de Briançon ou de Chamonix, adhèrent à la charte des 15 engagements éco-responsables mise en place par le Ministère des Sports. D'autres rassemblements d'envergure plus locale, comme l'Escala'Buoux, s'accordent aussi à respecter cette charte. Parmi les mesures mises en place citons les toilettes sèches, la restauration élaborée à partir de produits locaux et parfois bios, les gobelets réutilisables, la mise en place de poubelles de tri…
Sensibiliser aux bonnes pratiques
La prise de conscience passe par la formation. « Pour que cela fonctionne, il est indispensable d'intégrer les bonnes pratiques dès les premiers pas dans la discipline », observe Sylvie Viens. C'est pour cela que des volets « développement durable » sont intégrés dans les Passeports d'évaluation des compétences qui attestent du niveau d'un grimpeur. « Le respect des autres et de l'environnement est une des compétences à acquérir, au même titre que la technique, que ce soit en milieu urbain ou en extérieur, pour devenir un bon grimpeur », poursuit-elle. Dans le cadre des formations, les instructeurs disposent d'un onglet « développement durable » qui doit être enseigné aux élèves.
Dans un tout autre registre, le Parc National des Cévennes, en collaboration avec les professionnels du canyoning, a édité un manifeste des bonnes conduites pour les pratiquants. Neuf règles y sont mises en avant. Celle consacrée à la préservation des sites naturels de canyoning, met en avant le fait de limiter le nombre de rotations et de personnes en une journée ou encore de privilégier une activité diurne.
Opter pour des alternatives naturelles
Il a été prouvé que la magnésie, composée de carbonate de magnésium, pouvait accélérer le polissage des roches et réduire la durée de conservation de ces dernières. La poudre blanche est aussi pointée du doigt pour le rôle qu'elle pourrait jouer dans la disparition des mousses, lichens et végétaux qui poussent sur ces mêmes roches. Si la solution de substitution n'a toujours pas été trouvée pour les grandes voies et l'escalade d'aventure, en bloc c'est un peu différent et les coutumes tendent à évoluer. « Beaucoup de sensibilisation est faite pour insister sur le fait que la magnésie doit être utilisée avec parcimonie », souligne la directrice technique adjointe de la FFME. Depuis quelques années, la « pof », à base de colophane, des cristaux de résine de pin, est de plus en plus utilisée en bloc, pour pallier à ces problèmes de destruction de la roche. En salle aussi, la magnésie en poudre tend à disparaître au profit de la pof ou de la magnésie liquide. Depuis la crise sanitaire, de nombreuses salles urbaines ont même interdit son usage, pour éviter les substances en suspension dans l'air.
En ski–alpinisme, la composition du fart évolue aussi au fil du temps. Plusieurs marques mettent à disposition du fart écologique, pour ne plus laisser de traces polluantes sur la neige.
Oser la discrétion
« Je ne laisse pas de traces de mon passage » : c'est un des critères pour l'obtention du Passeport vert du grimpeur. La base. Et cela s'applique à tous les sports nature. Que ce soit la fédération, les associations, les clubs, les privés ou les marques, nombreux sont ceux qui sensibilisent sur ce sujet. À commencer par le ramassage de ses propres déchets. Un combat quotidien qui commence à porter ses fruits. Certains sites sont même désormais équipés de poubelles. De nombreuses initiatives locales proposent aussi des « Clean Up Days », dans toute la France. Dans une ambiance conviviale et de partage, des grimpeurs de tous horizons se rassemblent pour ramasser déchets et détritus au pied des sites d'escalade. Pour 2022, la FFME travaille à l'organisation d'un Clean Up Day d'envergure national afin de poursuivre dans cet effort, à l'instar d'autres associations, notamment Mountain Wilderness et Greenspits.
L'accent est aussi mis sur la nuisance sonore. De plus en plus de pratiquants sont issus du milieu urbain et ne connaissent pas forcément les codes de la pratique sur site naturel. À travers des outils comme le Passeport escalade ou des plaquettes d'informations, les néo pratiquants sont sensibilisés au respect du calme de l'environnement naturel. Dans un entretien accordé à Montagne Magazine, Pierrick Navizet, chargé de mission Tourisme du Parc National des écrins expliquait que « le bruit est une source de stress, de fuite et de perte d'énergie pour de nombreuses espèces. Pour les oiseaux, il peut causer l'abandon d'une zone de nidification".
Recycler à tout va
Phénomène de mode ou prise de conscience ? Peu importe, l'essentiel est que des actions concrètes soient mises en place autour du recyclage. Les marques l'ont bien compris et elles sont de plus en plus nombreuses à proposer des produits à base de matières premières écologiques ou recyclées. Une tendance qui prend de l'ampleur dans le milieu des sports outdoor, notamment dans le milieu du textile. Quelques associations, comme la Green session répertorient d'ailleurs les marques les plus éco–responsables. Passé le stade des vêtements, le phénomène s'étend. Parmi les grandes problématiques en quête de solutions, les cordes d'escalade et de canyoning s'invitent au centre du débat. Au Canada, un couple les recycle en laisses ou longes pour chiens. En France, quelques marques commencent à récupérer les vieux spécimens pour les recycler. Via son fond de dotation, RockClimber, créé en 2019, la FFME travaille sur un partenariat avec la marque Simond pour récupérer les cordes usagées et les recycler dans l'optique de les réutiliser. Des bennes sont déjà disposées à cet effet dans certains magasins Décathlon en France. En canyon, parmi les idées en train de germer dans les bureaux de la FFME, il y a celle de s'appuyer sur des fabricants de combinaisons néoprènes pour recycler celles qui ne sont plus utilisables.
Petit à petit bons nombres de ces écogestes entrent dans le quotidien des sportifs, licenciés de la FFME ou non. Ces derniers prennent conscience qu'ils ne sont plus seulement des utilisateurs des formes de Dame Nature. Par leur présence régulière, ils en deviennent des ambassadeurs. Et quel plus beau combat que celui de préparer la possibilités pour les générations futures de continuer de profiter de ce magnifique terrain de jeu ?
Crédits photos : FFME, Gael Bouqet des Chaux, Christophe Angot
Travail graphique : Orcelia Jane.