Symon et la montagne, c’était presque écrit. Son histoire, ses débuts, son amour pour les éminences rocheuses et puis la consécration à seulement 27 ans : Piolet d’or en 2021 aux côtés de Pierrick Fine. Voilà l’histoire d’une double rencontre au sommet : lui avec les cimes, nous avec lui.
Tout a commencé par une leçon d’escalade. Natif de Metz, Symon Welfringer se passionne dès son plus jeune âge pour l’escalade. Déjà, la force de Symon, c’est qu’il ne lâche rien. C’est le cas de le dire : en prise à son affinité pour la grimpe, il enchaine les compétitions en escalade de difficulté. De cadet à junior, porté par les clubs de la FFME, il parvient à remporter plusieurs coupes de France jeunes, s’aligne en Coupe d’Europe et sur plusieurs compétitions internationales.
Le jeune Messin à la tête bien faite intègre une prépa « math sup/math spé ». Habitué de l’exigence, il conçoit qu’il devra mettre son appel pour la verticalité en sourdine. Un temps au moins.
Mais Symon aime crapahuter, dévaler, surtout, découvrir. Cette agilité physique et mentale, motrice de tout son être, le pousse à reconnaitre qu’il s’agit maintenant de se rapprocher de la nature ; la comprendre, la lire, l’écouter. Trouver un équilibre, se rapprocher des éléments, cela passe aussi par intégrer l’école de la météorologie à Toulouse en 2013.
Là-bas, il rencontre des copains. De ceux qui, comme lui bientôt, aiment les défis que représentent la montagne. Symon la connait encore trop peu d’ailleurs : ski, rando, affinité pour les grands espaces… Il l’avoue, il ne s’agissait alors que de rendez-vous timides, mais il sait qu’il peut y avoir plus.
La bande, confiante en ses habilités de grimpeur, l’amène régulièrement sur de petites sorties alpi dans les Pyrénées. Dès lors, mordu, il intègre l’équipe régionale Midi-Pyrénées d’alpinisme : c’est ici que tout s’accélère.
Tous les week-ends, il arpente les faces, toujours entouré de ses compagnons. Intègre des stages, passe les sélections de l’ENAM (Ecole nationale d’alpinisme masculin) en 2015.
Malgré sa jeunesse et son relatif manque d’expérience, son ardeur est encouragée par les encadrants des équipes, d’abord Antoine Pêcher puis Mathieu Maynadier. Il découvre un territoire aussi vaste que ses ambitions, l’alpinisme de haut niveau.
« J’avais cette fougue de me dire qu’en fait, dans les Alpes, j’étais capable de tout faire alors que je n’y connaissais rien. A l’ENAM, je me suis rendu compte que « l’alpi » c’était bien plus qu’une cotation de longueur et qu’il y avait pleins d’autres choses à gérer …»
Dans un travail de contorsion où il parvient à faire appel à cette agilité qui le caractérise, il entreprend la gymnastique d’adapter sa pratique de l’escalade de haut niveau aux exigences de la montagne. Commence une refonte absorbante : acclimater son corps, ses gestes, son esprit, à ces nouveaux enjeux plus engagés, plus imprévisibles. Ce n’est pas un exercice évident, même si en France, la culture de l’escalade et de l’alpinisme est illustrement liée ; ailleurs et au travers de l’histoire, de grands noms de l’alpinisme n’ont pas fait de la pratique de l’escalade une maestria. Symon ne fera pas de sa pratique un dogme : « je suis capable d’adapter mon style aux enjeux ; je privilégie le style alpin sans en être un puriste. Il n’y a qu’un procédé que je considère comme contraire à l’éthique : l’utilisation d’oxygène artificiel. »
En 2016, se présente l’occasion de partir 6 mois au Chili durant sa troisième année à l’école de météo : c’est un nouveau béguin, celui du voyage. Amour logique pour l’aspirant explorateur qu’il est. Alors, en août de la même année, grâce aux bourses expéditions jeunes de la FFME, Symon part en Georgie avec deux copains : sa toute première expédition. Encore, l’expérience est vectrice d’ouverture sur un nouvel univers.
Cette avide curiosité est surtout affaire de rencontres. Rencontre avec le monde, les gens… Même s’il accueille volontiers le fait que l’alpinisme soit généralement polarisante de loups solitaires, lui ne s’imagine pas partir seul. Pour l’argonaute des sommets, la montagne est synonyme de sensations, d’émotions partagées. C’est peut-être cet esprit de camaraderie qui va l’amener au zénith : à l’automne 2020, en pleine crise sanitaire, Symon doit revoir ses plans. Il ne partira pas au Népal dont les frontières sont fermées. Il s’agit de trouver une nouvelle aventure. Allié à Pierrick Fine, en deux semaines seulement, le duo prodige étudie ses options à renfort de photos satellites et monte une expédition au Pakistan. Pourtant, les montagnes de la région à l’automne n’ont pas bonne réputation : les conditions météo y sont rudes. Ce sera tout de même un cliché du Sani Pakkush, qui leur fera de l’oeil, un « petit monstre » qui culmine à 6 953m. Il n’a été gravi qu’une seule fois, en 1991, par une cordée allemande qui avait choisi de l’aborder par la face Nord. Qu’à cela ne tienne : Pierrick et Symon se mesureront à son orientation Sud. 2500m d’ascension vierge. Une plongée dans l’inconnu. Ensemble, ils bravent les deux jours de mauvais temps qui compromettent l’ascension, les purges de neige revêches, les bivouacs inhospitaliers… Quatre journées d’ascension, une de descente.
Leur audace et leur détermination à tout épreuve leur vaudra un Piolet d’or en 2021. Ils ont seulement 27 ans. Ça ressemble fort à une consécration… Un apogée en toute humilité ? « On n’avait pas du tout en tête ce piolet d’or. (…) C’est plus un élan de motivation pour la suite qu’une vraie fin en soi. » On l’aura compris, Symon ne s’arrêtera pas là. Le dépassement comme caractéristique ontologique : il n’est pas là pour badiner. La montagne, les rochers, la glace, la neige, tout ce qu’il embrasse, c’est de façon méticuleuse. Cette relation à la technique qu’il admet presque autistique, infuse jusqu’à la façon de préparer ses expéditions.
Dans une scène pleine d’humour de son court métrage « revers Gagnant », documentant son expédition au Pakistan, on le voit couper scrupuleusement les étiquettes de son matériel. Chaque gramme compte : tout est consciencieusement pesé. Concédant dans un sourire malicieux que ce ne sont pas tant les quelques grammes d’étiquettes en moins à porter qui le soulagent, mais surtout l’état d’esprit que cette maniaquerie presque compulsive sous-tend : une attention extrême au détail, une maîtrise totale.
C’est un lieu commun, mais c’est (aussi) dans la tête que ça se passe. Parce qu’il faut avoir un mental d’acier pour oser affronter cette montagne dévorante. Elle avale parfois des êtres chers, elle peut être terrifiante, implacable. Si, autrefois, on avait tendance à glorifier des « têtes brulées » qui parfois au péril de leur vie, ont fait avancer la pratique de façon spectaculaire, la nouvelle génération intègre le risque de façon différente. « Il y a clairement un changement d’état d’esprit, faire les solos qui ont été fait dans les années 80, ça paraitrait complètement dingue aujourd’hui. (…)Tu passerais pour un fou alors qu’avant on aurait pu te voir en héros »
Pourtant, même s’il a bien conscience de sa présence, le risque lui semble être une chape de plomb qu’il faut percer. En voyant plus beau, plus haut : « oui, on a un peu plus peur qu’avant, parce qu’on vit dans une société plus peureuse et on nous rebat les oreilles avec le fait que notre pratique est dangereuse. (…) Mais pour moi ce qui importe dans l’alpinisme, c’est ce côté artistique de la quête de la beauté. »
Son art, le jeune athlète compte bien le perpétuer, voyant les grands espaces comme un lieu de tous les possibles : « je ne pourrais pas arrêter. Je sais que, profondément, ça me passionne. C’est ancré en moi. Ce que j’ai vécu en « expé », ce sont des sensations que j’ai envie de reproduire, de revivre. Donc j’y retournerai. C’est sûr. Mais il faut y aller avec la bonne motivation, avec la bonne intention. En ce moment, je ressens le besoin de prendre un peu de recul avec l’alpi, donc je ne fais plus que de la grimpe parce qu’il y a des questions qui me taraudent. »
En attendant Symon Welfringer a la grimpe dans le sang, alors il s’entraine sans relâche. L’objectif : 9A. Une parenthèse dans son parcours d’alpiniste qui le ramène vers son premier amour, la performance en escalade. Mais la boucle n’est pas bouclée pour autant, « c’est juste qu’avant d’y retourner, j’aimerais prendre le temps de réfléchir à tout ça. » Patience, la quête de la beauté ne peut être précipitée.
Crédits photos : Ulysse Lefebyre, Piotr Drozdz Photo, Millet