En juin dernier, la 4e promotion du Roc aventure programme (RAP) a terminé sa formation magistralement en signant l’ouverture d’une voie de 900 mètres pour 21 longueurs jusqu’au 8a sur la Pedra Riscada dans le massif des Minas Gerais brésilien. Cette directissime, la voie « Rabiosa », vient marquer le point final d’une aventure verticale de trois ans pour les jeunes grimpeuses et grimpeurs du RAP.
Des podiums aux plus hauts sommets, l’ascension peut être vertigineuse. Pour accéder au merveilleux du monde des hauteurs, il faut avoir les clés de cet environnement vertical et minéral, fait de pics et de roches aux mille et une couleurs, avec chacune son histoire, ses aspérités et ses humeurs… Entre les recoins des salles d’escalade et les falaises perchées, il y a des mètres et des mètres de cordes, des dizaines de kilos de quincaillerie en tout genre, des nœuds en pagaille et des techniques et savoir-faire indispensables pour une ambition de taille : aller vers le haut !
Lancé en 2016 par la FFME, le Roc aventure programme a pour objectif de créer du lien entre le monde de la résine et celui du rocher, en offrant à d’anciens grimpeurs compétiteurs tous les outils pour vivre leur passion en long, en large, en travers et surtout de bas en haut !
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« On veut donner à la nouvelle génération toutes les clés pour s’épanouir en falaise, partir à l’aventure et entretenir cet esprit de cordée indispensable à notre sport. En formant de jeunes grimpeurs aux différentes techniques d’escalade outdoor, on espère un effet « boule de neige » et construire ainsi des ponts entre l’escalade en salle et en extérieur. »
Jonathan Crison, conseiller technique national et responsable du RAP
Tous les deux ans, six grimpeurs (trois filles, trois garçons), sont ainsi sélectionnés avec soin, aussi bien pour leurs performances que pour leur personnalité et motivations, pour suivre une formation complète dans tous les domaines de l’escalade outdoor et vivre une aventure humaine inoubliable. Encadrée par les maestros Jonathan Crison et Gérôme Pouvreau, la dernière promotion du RAP s’est ainsi perfectionnée en grande voie dans les Gorges du Verdon, a découvert les techniques de rééquipement dans les Gorges du Tarn, le vertige du Big Wall en Norvège et le tout dans un projet de fin d’études colossal : l’ouverture d’une voie de plus de 900 mètres au Brésil.
L’histoire commence en 2021, lorsque Jonathan Crison, responsable de la formation RAP, découvre lors d’un voyage grimpe/parapente dans l’État du Minas Gérais au Brésil cette face monumentale de granite sur la Pedra Riscada. « Ce mur de près de 1000 mètres de haut s’est imposé à moi, presque comme une évidence ! Les côtés du monolithe étaient déjà équipés de quelques voies, mais rien dans la face centrale… En 2023, une paroi comme celle-là sans aucune ligne, c’était incroyable. C’était un appel ! Il fallait bien sûr s’assurer que c’était d’une part grimpable et surtout sans danger pour les jeunes. Ce n’est pas anodin de faire ouvrir une voie de 900 mètres à l’autre bout du monde, la gestion du risque est primordiale. Après quelques repérages, toutes les planètes s’alignaient et rien ne semblait faire obstacle à mon idée : c’était la face parfaite pour le projet de fin de formation ! Un projet ambitieux mais réalisable ! »
Deux ans plus tard et avec un paquet d’heures de pratique, d’apprentissage technique et théorique et plusieurs stages préparatoires dans les bagages, les voilà tous partis pour le Brésil ! Après un vol Lyon-Rio et une quinzaine d’heures de route à travers les terres intérieures du Brésil oriental, les six jeunes grimpeurs de la quatrième promotion du RAP et leurs coachs Jonathan Crison et Gérôme Pouvreau se retrouvèrent enfin aux pieds de ce colosse de granite. « Il y a eu un grand silence. Il y avait à la fois de l’excitation et de la timidité face à cet immense mur au-dessus de nos têtes. » raconte Jonathan.
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« On avait tous rêvé cette face, on en avait imaginé les contours et les possibles, mais quand on a découvert ce monolithe se dressant au-dessus de la jungle, c’était au-delà de nos espérances. »
Tanguy Topin, grimpeur du RAP
Aucune photo de repérage ne pouvait retransmettre ce sentiment de vertige confie Tanguy Topin, grimpeur du RAP : « On avait tous rêvé cette face, on en avait imaginé les contours et les possibles, mais quand on a découvert ce monolithe se dressant au-dessus de la jungle, c’était au-delà de nos espérances. » Sa coéquipière Kenza Slamti surenchérit en superlatifs « Il n’y a pas de mot pour exprimer ce que l’on ressentait… C’était juste super méga géant ! ».
La tête vers le ciel, il fallait à présent dessiner une ligne sur cette page vierge. Plusieurs options se présentaient à eux, mais ils jetèrent rapidement, à l’unisson et sans détour, leur dévolu sur une directissime vers le sommet ! « C’était presque logique ! C’était une ligne continue vers le haut, il y avait aussi ce grand X au milieu de la face qui semblait nous indiquer le chemin et la végétation y paraissait plus clémente que sur le reste de la face… » explique Jonathan.
Dès le lendemain et ce malgré la pluie, toute l’équipe se retrouva pour attaquer l’ouverture. « Ça nous a mis dans le bain direct ! Pour ma première expérience d’ouverture, commencer par équiper sous la pluie, c’était une sacrée aventure ! » confie Kenza. Heureusement, le soleil a vite repris ses droits sur le Minas Gerais et est venu sécher la face. Les choses réelles pouvaient commencer…
Pour cette ouverture de grande ampleur, le travail s’est réparti sur deux équipes : chaque jour, une équipe ouvrait pendant que l’autre préparait le matériel pour le lendemain et inversement le jour suivant. Ce jeu de va et vient s’est fait jusqu’au milieu de la face, avant qu’un camp de base intermédiaire s’impose sur la paroi pour la suite de l’ascension. « Les allers-retours sur les cordes commençaient à prendre beaucoup de temps ; on avait près de 500 mètres de cordes statiques à remonter tous les jours, ça faisait du temps et surtout de l’énergie perdue ! On a donc installé deux portaledges au milieu de la paroi pour appréhender la deuxième partie de la ligne. À partir de là, l’équipe d’ouvreurs partait pour deux jours et la deuxième équipe venait en renfort pour l’approvisionnement de matériel, d’eau et de nourriture, toujours avec le souci d’assurer la sécurité de tous à chaque manipulation.» explique Jonathan.
À l’échelle d’une longueur, le travail était minutieux et les questions nombreuses : Quelles prises ? Quels mouvements ? Où percer ? Où poser le relai ? C’est surement là, à la fois toute la complexité et toute la beauté de l’ouverture : tout est possible… Et si le dessin de la ligne était assez clair, les longueurs, quant à elles, ont été plus difficiles à arrêter… « Souvent, il y a une petite vire, un replat, un petit quelque chose que l’on vise pour poser le relai, mais là, rien du tout ! Aucun relai confortable à l’horizon ! On a fini par viser les petits cactus sur la paroi pour avoir des relais avec un peu de repos pour les pieds… » poursuit Jonathan.
Tout était bon à prendre pour se reposer les pieds, même un cactus ! En effet, l’ouverture des 21 longueurs de cette voie, s’est faite majoritairement en libre, c’est-à-dire que l’ouvreur grimpe au-dessus du point avec le perforateur pour aller poser le suivant en se tenant seulement à la force des bras et des jambes. « On équipait avec le perfo à la main en leader pour aller poser les premiers spits amovibles dans la voie. Je me souviens tenir des micro-réglettes à une main et percer de l’autre main sur des pieds un peu péteux, c’était ambiance ! » raconte Tanguy Topin. Rajouter à cela quelques maux de tête face à un océan de « knobs » de granite et une lecture de voie pas toujours évidente !
Quelques suées ont donc été nécessaires, mais pour un objectif qui en vaut la peine, comme le rappelle Jonathan : « ouvrir une voie agréable à grimper pour les répétiteurs. Que ce soit du point de vue de l’engagement ou de l’emplacement des points. On a donc mis en place un système de passe-passe avec un premier leader qui équipait sur des « pulses » amovibles et un grimpeur qui suivait pour regrimper la longueur et poser les points définitifs. Grâce au gros niveau de départ de toute l’équipe (entre le 8 et le 9a), on avait la marge pour ouvrir les longueurs en libre et affiner ensuite. »
Jour après jour, la face se para ainsi de centaines de mètres de cordes statiques pour assurer la liaison entre le sol, les portaledges et le haut de la paroi « On espère ne pas avoir épuisé les stocks de chez Beal ! » lance Jonathan en rigolant.
Les grimpeuses et grimpeurs surmotivés n’ont rien lâché pour atteindre le sommet : « Il fallait même les calmer un peu et les freiner parfois dans leur élan », confie Jonathan. La préparation du RAP et la force du travail d’équipe semblent avoir fait leurs preuves au Brésil ! « Sur ces expéditions loin de tout, tous les efforts sont bons à prendre ! La force collective doit aller dans la même direction. Il faut savoir mettre la performance individuelle de côté et travailler pour un projet commun. C’est ce que j’ai appris lors de ces trois ans de formation. Au-delà des techniques et des connaissances, je garderai toujours en tête cette incroyable aventure humaine ! » explique Tanguy.
À l’arrivée, il aura fallu moins de dix jours aux jeunes grimpeurs pour ouvrir 21 longueurs (dont une cotée 8a) pour un total de 900 mètres de grimpe ! Une performance express qui explique, entre autres, le nom choisi pour cette voie « Rabiosa », « enragé » en espagnol. Un clin d’œil également à la première grande voie ouverte dans les gorges du Verdon « Les Enragés », mais aussi un hommage à Shakira, le chat de Jonathan Crison qui fut pendant longtemps la mascotte de la promotion…
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« C’est incroyable de regarder cette ligne après coup et de se dire, c’est la nôtre ! »
Kenza Slamti, grimpeuse du RAP
« Rabiosa » est à présent gravée dans le granite brésilien, une voie soutenue et continue, une directissime vers le sommet pour un maximum de plaisir… Tanguy et Kenza se rejoignent sur ce point :
« C’est une voie très soutenue, il n’y a pas de longueur extrême, mais toutes les longueurs sont exigeantes. C’est vraiment un gros défi de l’enchaîner et de trouver les prises entre les centaines de knobs de granite. Il faut se frayer un chemin là-dedans en gardant toujours des bons appuis, il n’y a pas de repos ! » - Tanguy
« C’est raid, il y a du gaz, il n’y a pas un bac, il n’y a pas une vraie bonne prise, il n’y a pas un ressaut, pas un repos, c’est exigeant, ça fait mal aux pieds… Mais c’est la plus belle ligne qui raye la face ! C’est une aventure grandeur nature. C’est incroyable de regarder cette ligne après coup et de se dire, c’est la nôtre ! On a ouvert cette voie. Maintenant c’est aux autres d’en profiter… » - Kenza
Pari réussi donc pour cette nouvelle promotion du RAP qui a atteint ses objectifs et ambitions… La relève est en place !
Crédits photos : FFME