Meilleure athlète de la saison 2022. Est-ce une surprise ? Pour elle, peut-être. Mais pour la plupart des observateurs, il s’est plutôt agi de sa révélation sur la scène du ski-alpinisme mondial : Emily Harrop a remporté le Globe de cristal 2022, sacrant l’athlète internationale la plus performante de l’année dans les trois disciplines. Portrait.
Il y a de ces personnalités qui ont toujours besoin de se ré-inventer. Caméléons insatiables, ils demeurent ouverts aux horizons que leur cheminement leur présente. Avide de se voir être sous toutes ses facettes, le destin d’Emily est de ceux-là. Montagnarde de naissance, ses premiers pas se font sur la neige, mais sans peau de phoque, ou presque. Comme beaucoup d’athlètes du circuit ISMF, Emily Harrop a d’abord skié entre les piquets en club et, forte de ses bons résultats, sur un autre circuit international que celui sur lequel elle excelle aujourd‘hui, celui de la FIS. Un parcours vers le haut-niveau chez les jeunes qui lui a appris le goût de l’excellence, de l’effort, de l’ambiance des sélections nationales. Pas de peau de phoque dans ses jeunes années, donc, à de rares exceptions près. « Mes parents, notamment mon père, pratiquent des sports d’endurance. Ils m’ont emmené faire quelques sorties en ski de randonnée », se souvient-elle. Et c’est à peu près tout.
De ses quatre années « en FIS », elle se souvient surtout de l’ambiance. Celle d’un groupe qui s’entraine et voyage ensemble. Elle se souvient aussi de l’exigence, dont elle s’accommodait, et de la difficulté des blessures qui s’enchainent ses deux dernières années en ski alpin. « J’étais spécialiste de la descente, je me souviens que tout le monde voulait me voir passer du temps en salle de muscu, pour que je prenne de la masse, quand je préférais aller courir », ironise-t-elle se projetant déjà dans la suite de son récit. Ce sont les blessures qui ont fini par la faire douter : à l’heure des études supérieures, elle fait le choix de privilégier les bancs de l’école à l’incertitude d’une carrière alpine - milieu extrêmement concurrentiel - hypothéquée par un corps déjà meurtri. Emily Harrop prend alors la direction de Londres, pour une première expérience en entreprise loin de ce qu’elle a toujours connu. Un choc ? A l’écouter, pas tant que ça : la jeune femme garde le même sourire, le même ton enjoué pour évoquer ses années où elle a reconnecté avec le côté paternel de sa généalogie. A Londres, elle découvre la vie citadine, la vraie. Elle découvre aussi prendre un réel plaisir lorsqu’elle s’essaye aux sports d’endurance en compétition, notamment à l’occasion de son premier semi-marathon.
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« ce sport m’a semblé si dur mais tout le monde paraissait y prendre du plaisir »
Emily Harrop
C’est de retour dans les Alpes qu’un tournant s’opère quand une voisine l’introduit au ski-alpinisme. Léna Bonnel est alors une des chefs de file de l’équipe de France jeunes, elle raconte son sport à Emily qui se découvre une curiosité naturelle pour cette discipline qui allierait ses qualités naturelles en endurance et ses compétences acquises en ski de descente. Une sortie en ski de randonnée en famille à l’occasion du passage au Grand Mont de la mythique Pierra-Menta fera le reste : « ce sport m’a semblé si dur mais tout le monde paraissait y prendre du plaisir » se souvient-elle, naïvement, avoir pensé. « Et si j’essayais le ski-alpinisme ? »
De son premier allant pour une discipline qui semble être un nouveau challenge à explorer, et forte de son envie d’apprendre, Emily Harrop ne s’envisage absolument pas, alors, retrouver une vie de sportive de haut-niveau. Débrouillarde mais pas encore introduite, la jeune femme s’achète du matos, navigue sur internet pour comprendre ce sport et trouver des courses alentours. Elle commence par enchainer « les courses à saucisson » (sic) et découvre, presque surprise, qu’elle est loin d’être ridicule dans les traces. Petit à petit, elle trouve un club, y rencontre du monde, construit son réseau. Quand on lui demande si son travail de fourmi a fini par payer, elle semble encore s’étonner de ses performances d’alors et de la rapidité de sa progression. « Sur ces courses, bon, il n’y avait pas grand monde, mais c’est vrai que j’étais souvent sur le podium, ou première… Enfin sur les petites courses autour de la maison. »
En 2018, il est alors temps de plonger dans le grand bain pour une première, vraie, saison. Cette année-là, aux championnats de France de course individuelle, c’est un véritable fiasco : elle ne connait personne, elle ne sait pas comment fonctionnaient les départs par vagues et rate son start en se trompant de catégorie. Elle décide de continuer l’apprentissage et fait équipe avec Sophie Mollard sur la Grande Trace. Elles y terminent deuxièmes après avoir mener tout le long et s’être fait rattraper dans la dernière bosse. Cette victoire ratée de peu est un déclic : elle a peut-être sa carte à jouer dans ce sport.
Toujours humble, elle se remet à l’ouvrage et gravit une à une les marches vers les sélections nationales. Avec cette candeur jamais naïve, cette humeur pétillante qui fédère autour d’elle. Il faut bien dire qu’Emily Harrop à une personnalité tout à elle. De celle qui l’amène à déclamer chaque ligne d’un titre de rap américain dans le minibus des athlètes. Sans accaparer toute la lumière pour autant, la jeune femme s’excuserait presque de commencer à battre ses coéquipières en équipe. Surtout, elle a le contact facile dans un milieu dominé par les personnalités taiseuses. Et elle est ouverte à tout ce que le ski-alpinisme moderne lui propose. Les sprints ? Elle y voit une opportunité d’apprendre et la saisit. Mais tout en gardant en tête de chercher à gravir les échelons dans l’épreuve reine de la course individuelle.
Pour cela, elle s’inspire des meilleures. De la meilleure en l’occurrence. En stage, elle côtoie Axelle Gachet-Mollaret qui règne sans partage sur le ski-alpinisme mondial, les sprints mis à part. « Je suis encore loin de son niveau », tient à préciser Harrop, « mais je me réjouis de voir que, maintenant, je monte parfois sur des podiums à ses côtés en individuelle. » Mais revenons à son parcours : si 2019 fut l’année de l’apprentissage pour Emily Harrop et 2020 celle de la crise sanitaire pour tout le monde (et de ses premiers succès nationaux), 2021 fut la saison des promesses. Avec de premières belles performances et, surtout, les premières médailles internationales à l’instar de sa 2e place aux Championnats du monde avec le relai français et une médaille de bronze au sprint de Marmotta (Italie).
Restait à monter sur la première marche du podium. Et la Française n’a pas laissé longtemps planer le doute sur ses capacités à s’imposer : dès la première journée du circuit ISMF 2022, Emily Harrop a dominé le sprint d’Adamello (Italie) et a pris sa première médaille d’or en Coupe du monde de ski-alpinisme. Bien-sûr, ce n’était pas là un coup isolé, trois jours plus tard la voilà qui montait sur son premier podium en course individuelle. Rebelote sur le 2e rendez-vous en Andorre : Harrop prend le bronze sur l’individuelle et sur la vertical race. Puis, deux médailles d’argent à l’étape suisse, suivies d’une victoire sur le sprint de Valmartello (Italie) et d’un nouveau podium sur l’individuelle et, enfin, une victoire finale sur le sprint de Flaine. Mais ce n’est pas tout : l’athlète s’est aussi imposée sur le relai mixte du Championnat d’Europe (avec Thibault Anselmet) et aux Championnats du monde longue distance par équipe avec l’incontournable Axelle Gachet-Mollaret. « C’est un de mes meilleurs souvenirs de mon hiver ! J’ai tant appris en peu de temps en skiant trois jours dans les traces d’Axelle. Et quelle émotion à l’arrivée ! » A l’heure du bilan, en une seule saison, Emily Harrop est montée sur 14 podiums internationaux et 6 fois sur la plus haute des marches ! Un bilan qui en fait, tout simplement, l’athlète la plus performante du circuit 2022.
« Je n’ai longtemps pas vraiment pensé au globe, honnêtement. Ce n’était clairement pas un objectif identifié. Et c’est vrai que c’est étourdissant de l’avoir remporté aussi vite dans ma carrière. Mais je ne me considère pas avoir accompli quelque chose de définitif : je dois encore beaucoup progresser sur des formats plus longs comme les courses individuelles et les courses par équipe », explique la Française. Qu’a-t ’elle en tête pour la suite ? « Aller plus vite sur des « indiv », prendre de l’expérience sur les courses en équipe… »
- Et ?
- Toi, tu veux me faire parler des Jeux (rires) ?
Effectivement, comment ne pas l’évoquer ? « Bien-sûr que c’est dans un coin de ma tête. Mais c’est encore loin 2026. » L’humilité qui la caractérise l’empêche d’en dire davantage. Mais difficile, compte-tenu de ses qualités, de ne pas l’envisager comme une sérieuse prétendante à la qualification pour 2026. Mais avant cela, il y a 2023. Passera-t-elle de la saison de la révélation à celle de la confirmation ?
Crédits : ISMF, FFME, SkimoStats et Orcelia Jane (travail graphique)