Au sommet de la hiérarchie mondiale de l’escalade de vitesse depuis 2014, la Française Anouck Jaubert n’a pas attendu de quitter les podiums internationaux pour tirer sa révérence. Une sortie par la grande porte, épilogue d’un parcours sans faute.
C’est une page qui se tourne. Et une autre qui commence doucement à se remplir pour Anouck Jaubert. Après dix années passées en équipe de France, la spécialiste tricolore de l’escalade de vitesse a décidé de tirer sa révérence après les JO de Tokyo. Sixième de l’événement sportif planétaire, proche du podium, elle a inscrit son nom dans le grand livre de l’épopée olympique, alors que l’escalade y était représentée pour la première fois. Un grand pas pour l’Histoire de la discipline, un petit pas dans la belle histoire sportive de la grimpeuse.
Née à Saint-Étienne, Anouck Jaubert, éclectique, s’est essayée à plusieurs sports avant de trouver sa voie dans l’escalade. Danse, patin à glace, gymnastique, judo : autant de disciplines qui l’ont formée et forgée à devenir l’une des toutes meilleures sprinteuses verticales du monde pendant plusieurs années. Si la jeune fille pratiquait occasionnellement l’escalade en famille, c’est au collège qu’elle se découvre une réelle affinité pour ce sport en participant à des compétitions scolaires. Et avec Anouck Jaubert, quand il y a coup de foudre sportif, les choses s’enchaînent très rapidement.
« Une sportive exceptionnelle » , Sylvain Chapelle
À 16 ans la jeune grimpeuse intègre le Pôle France. C’est à ce moment là qu’elle découvre et s’approprie la vitesse. « Elle est venue à Voiron pour le bloc, se souvient Sylvain Chapelle, son premier entraineur et le chef de file de l’équipe de France de vitesse. Et puis, un jour, elle a essayé la vitesse, ça a tout de suite assez bien marché, elle a accroché. La vitesse n’était pas son plan de base mais elle a bien fait ! ». Un an plus tard, en 2011, elle porte déjà les couleurs de l’Équipe de France avant de décrocher le titre de championne du monde jeune à Singapour. La machine Jaubert est lancée. À cette époque, dans le clan tricolore, il y a aussi Esther Bruckner, première française à avoir remporté une étape de Coupe du monde d’escalade de vitesse. Les deux jeunes filles ont le même âge, une belle émulation les pousse vers les sommets. Grâce à son départ fulgurant, Anouck Jaubert rejoint rapidement le circuit roi. Mais une fois au contact des meilleures, elle prend le temps de faire ses gammes. Jamais loin de faire de belles choses, mais toujours un peu un retrait sur le tableau de résultats. En 2014, c’est le déclic. Il suffit d’une troisième place sur la Coupe du monde de Chongqing pour gommer les petits blocages qui la gardait à distance des meilleures mondiales. Après ce podium, plus rien n’a pu freiner la réussite de la championne.
Jugez plutôt : en 2014, elle prend la troisième place du classement général de la coupe du monde récompensant la régularité des athlètes sur toute la saison. Un podium qu’elle ne quittera plus jusqu’à l’annonce de sa fin de carrière, le remportant même à deux reprises en 2017 et 2018. Au final, son palmarès compte vingt-huit podiums en Coupe du monde, dont seize victoires, deux médailles aux Championnats du monde (l’argent en 2016 et le bronze en 2019) et quatre titres de championne de France.
Sylvain Chapelle revient sur la carrière de son ancienne protégée : « c’est une performance incroyable. Depuis presque 10 ans, elle brille dans un sport où les Français n’existaient pas. Elle a repris le flambeau allumé par Esther pour l’amener bien plus loin. Elle a marqué l’histoire de l’escalade de vitesse en France. C’est une athlète exceptionnelle. » Derrière la sportive renommée, Anouck Jaubert c’est aussi « une bonne-vivante », une joueuse à toutes épreuves, « toujours partante pour un jeu de société ou pour passer un bon moment ». Celle qui cristallise un groupe, après avoir désespérément œuvré pour que le collectif vitesse se mette « enfin » à jouer à la coinche ou en « goûtant toutes sortes de choses étranges ». « Toujours à bloc dans la vie comme dans le sport, je me suis régalé à l’entrainer, ajoute Sylvain Chapelle. Avoir une athlète comme ça, c’est génial. »
« L’impression de voler », Anouck Jaubert
Si dans le genre « déterminée », Anouck Jaubert fait figure de première de la classe, cela n’a pas toujours été le cas comme se le remémore son ancien entraineur. « Au début, elle était jeune, il lui arrivait d’être un peu flemmarde, s’amuse Chapelle. Ce n’était plus le cas les dernières années. Anouck avait de grosses capacités explosives, parfois proches de celles des garçons. Et mentalement, elle était aussi très forte. Elle voulait gagner et tout tournait autour de ça. » Très impliquée dans sa préparation, au cœur de son projet sportif, la grimpeuse s’est toujours attardée à ne rien laisser au hasard. Préparation physique, éléments techniques, hygiène de vie, préparation mentale : tout a été pensé, anticipé et travaillé par la sportive de haut niveau pour optimiser ses performances. « J’ai adoré m’entrainer ! Pour performer, ce sont plein de petits détails mis bout-à-bout, raconte-t-elle. Après dix ans passés à travailler la même voie, il y a encore moyen de s’améliorer, c’est passionnant. J’ai toujours eu des petits déclics à tous les niveaux qui m’ont permis d’avancer. En physique, puis techniquement avec la décomposition et la compréhension des mouvements ou encore sur l’aspect mental. Il a aussi fallu se laisser la liberté de gagner contre les Russes, qui dominaient tout, puis gérer ses émotions pendant les duels. »
Les duels, c’est ce qu’elle aime, ou plutôt qu’elle aimait, dans la vitesse. Cette petite dose d’adrénaline qui pousse à donner le meilleur de soi-même. Anouck Jaubert : « j’adore la compétition et être en concurrence directe avec mes adversaires. On sent la rivalité, que l’on grimpe contre quelqu’un, c’est assez génial ». Du sprint vertical, Anouck aime aussi les sensations qu’elle procure. « J’aime sentir que je vais vite sur le mur. Le mieux c’est quand tout le travail fourni est réuni sur un même run. Se sentir, forte, technique, précise et mentalement au point dans le même run, c’est une sensation unique. Tu as l’impression de voler. » L’alignement des astres sur une compétition ou un run, Anouck Jaubert l’a vécu plusieurs fois. Parmi ses faits d’armes les plus marquants, elle se souvient de ses victoires à Chamonix en 2015 et 2016. « Chanter la Marseillaise devant tout le monde sur la place du Mont-Blanc, c’était unique ! Il y a aussi eu Moscou en 2018, où j’égalise le record du monde de l’époque (7’32), la victoire en Chine avec Bassa Mawem la même année ou le run de qualification des JO où je fais tomber mon record personnel. Des bons moments, il y en a eu tellement ! ».
Des hauts, des bas, des doutes et des réussites
Comme tout parcours de sportive, le chemin d’Anouck a été parsemé de petites embuches, notamment les dernières années. D’abord, il a fallu se qualifier pour l’épreuve d’escalade des Jeux Olympiques, nouvelle venue dans le paysage olympique, mais sous le format d’un combiné. Finie la pratique exclusive de la vitesse, Anouck Jaubert a dû faire quelques infidélités à sa discipline de cœur pour progresser aussi en boc et en difficulté. Continuer de travailler sur la vitesse tout en s’attaquant aux deux autres facettes de la grimpe, un sacré programme ! Gonflée à bloc pour le combiné des Championnats du monde de 2019 puis le tournoi de qualification olympique, Anouck Jaubert rate de peu sa qualification. Une énorme déception. Première des non-qualifiées, la Française est dévastée.
Quelques mois plus, tard, en plein confinement, une nouvelle vient ajouter de la couleur et un but à ses entrainements : sa participation aux Jeux Olympiques de Tokyo est validée grâce à sa performance aux Championnats du monde de 2019 grâce à sa performance aux Championnats du monde de 2019. La machine Jaubert est relancée même si elle gère en parallèle un dangereux face à face avec le chronomètre pour soigner une inattendue blessure à la cheville. En vue des Jeux Olympiques, son entourage a été soigneusement sélectionné : préparateur physique, entraineur, kiné, préparateur mental. Rien n’est laissé au hasard et sa cheville handicapée se rééduque à temps pour Tokyo. Pour la grimpeuse, la préparation mentale était une nouveauté. « Je n’en ressentais pas le besoin avant, se souvient la sprinteuse. Pourtant, j’ai appris et découvert plein de choses. J’ai eu des déclics sur certains points et c’est surtout ce qui m’a permis de m’exprimer à 200% sur les Jeux Olympiques ». Preuve à l’appui, c’est sur l’événement le plus important de sa brillante carrière qu’Anouck Jaubert a réalisé son record personnel, désormais figé dans le marbre : 7"12. Et le compteur risque de s’arrêter là puisque quand on lui demande si elle envisage de renfiler les chaussons pour une compétition, elle rit, en ajoutant : « non, je crois que c’est bien fini ! Depuis que j’ai arrêté la compétition, j’ai grimpé seulement deux, trois fois en salle de bloc. Pour le moment, mon corps a besoin de repos, je lui ai quand même bien tiré dessus ces dernières années. » Depuis septembre, l’ex-leader de l’équipe de France féminine de vitesse a délaissé les murs verticaux pour les salles de classe. Studieuse, pour valider sa dernière année de kinésithérapeute, l’ancienne championne a déjà un nouveau défi à relever.
Crédits photos : IFSC, Léo Zhukov, Eddie Fowke, FFME, Rémi Fabregue