En tête du classement mondial de sa discipline depuis deux ans, Anouck Jaubert cumule, à 25 ans, 14 victoires en Coupe du monde. La jeune femme a décidé depuis l’année dernière de se lancer dans l’aventure de la qualification à l’épreuve olympique : le combiné. Difficulté et bloc font désormais partie de sa planification. Plongée dans le quotidien d’une des grimpeuses les plus rapides du monde, qui sera peut-être bientôt une athlète olympique ?
7h30, le réveil sonne, Anouck Jaubert ne bouge pas. Seul un œil s’entre-ouvre. « Je n’ai jamais trop été du matin, confie la jeune femme. Il y a des jours où j’attends encore une demi-heure après la sonnerie du réveil avant de me lever. Mais aujourd’hui, nous sommes en stage, c’est un peu exceptionnel. De savoir que j’ai plein de partenaires d’entraînement et un nouveau circuit de blocs à tester, c’est très motivant. »
Le petit déjeuner, fromage blanc/céréales, est vite avalé pour revêtir la tenue de l’équipe de France, de rigueur. Au pôle, les entraînements commencent d’habitude à 9h30 mais, aujourd’hui, le rendez-vous est fixé à 9h pour le début du circuit de bloc : une simulation de qualifications type « coupe du monde ». Anouck Jaubert décolle de son appartement, situé dans le centre-ville de Grenoble. Une petite trentaine de minutes de route qu’elle connait aujourd’hui par cœur. « Ça fait dix ans que je m’entraîne ici. J’y vais presque tous les jours à raison de 2 à 3 séances quotidiennes. C’est un peu comme si j’allais au boulot. » Cette année, pour le suivi de la planification des athlètes dont ils ont la charge, le staff de l’équipe de France s’est équipé d’un logiciel dédié : Ekyno. « Il permet aux entraîneurs de prévoir les séances que nous devons faire sur une semaine, puis à nous de nous organiser plus librement pour les assurer en fonction de notre planning personnel. C’est très pratique, confie Anouck Jaubert. Cela m’a fait gagner en autonomie et me permet de pouvoir m’entraîner aussi de temps en temps dans des salles d’escalade de Grenoble, pour varier les supports et les ouvertures. »
En deux ans, Anouck Jaubert est ainsi passée experte dans l’art du jonglage entre les séances, les salles d’escalade et les disciplines, avec cet entrain bon enfant qui la caractérise depuis ses débuts en escalade : abordable, souriante et malicieuse. Et pourtant, tout n’a pas été toujours aussi fluide. A ses débuts, alors qu’elle se lançait dans une discipline globalement rejetée par les grimpeurs en France, la Stéphanoise a dû faire face à beaucoup de mépris de la part de ceux qui jugent que la vitesse n’est pas de l’escalade. Mais Anouck Jaubert a rapidement su faire fi de ces mauvaises langues. Son meilleur rempart à la mauvaise foi, ce sont toutes ses médailles : 14 médailles d’or en Coupe du monde, deux victoires consécutives au classement général de la Coupe du monde en 2017 et 2018, et surtout, son titre de championne de France du combiné, en novembre 2018. Un dernier titre qui est un beau pied de nez à tous ceux qui pensent que les spécialistes de la vitesse ne savent pas grimper.
« Cela faisait tout juste un an que je m’entraînais pour ce combiné, explique-t-elle. J’ai l’avantage de commencer par la vitesse, et d’être ensuite beaucoup plus détendue pour le reste de la compétition. Je suis aujourd’hui vraiment satisfaite d’avoir fait ce choix de me lancer dans le combiné olympique. La pratique des trois disciplines à l’entraînement m’a offert une variété salutaire. J’avoue tout de même être passée par de sombres périodes de doutes. En décembre dernier, le stage chez les Japonais m’a donné un aperçu de l’étendue de mon retard en bloc. » Le chantier au niveau gestuel et technique était considérable, mais aujourd’hui l’entraînement commence à porter ses fruits. Anouck Jaubert est confiante pour cette longue saison à venir. En effet, pour tenter de se qualifier aux Jeux Olympiques de Tokyo, la compétitrice doit faire ses preuves en Coupe du monde de bloc et de difficulté. Sa participation est déjà inscrite sur 7 épreuves : 4 en bloc et 3 en vitesse, tout cela avant l’été. « Et puis, nous verrons alors en fonction de mes résultats, la stratégie à adopter pour la suite de la saison. »
L’heure est aujourd’hui à l’entraînement. L’entraînement en bloc justement pour arriver au meilleur de sa forme à Meiringen (SUI), première étape de la Coupe du monde 2019. Arrivée au pôle olympique, Anouck Jaubert retrouve l’équipe de France de bloc ainsi que les onze grimpeurs engagés dans la préparation olympique. Un circuit de type Coupe du monde face aux meilleurs grimpeurs français proposé un mois avant les premières échéances internationales, c’est à ne manquer pour rien au monde. « C’est un plaisir de retrouver tout le monde aujourd’hui. En général, je suis seule pour mes séances d’entraînement. Comme je suis la seule fille engagée dans la préparation olympique à m’entraîner quotidiennement sur le pôle, je suis en décalage sur ma préparation vis à vis des autres grimpeurs, principalement mes collègues de la vitesse. »
Le jeu, c’est l’échauffement préféré d’Anouck Jaubert. Dès qu’elle trouve un partenaire d’entraînement, une petite partie de foot ou de basket s’organise. « Ça échauffe les jambes et le corps en général. Après, je m’attarde plus sur les parties du corps spécifiques à l’escalade, surtout les doigts et les épaules, qui ont le droit à un traitement de faveur, car ce sont elles qui souffrent le plus chez moi. Puis la fin de l’échauffement s’affine en fonction de la discipline que je vais pratiquer, et du contenu de la séance. » Aujourd’hui, pour entamer ce stage équipe de France, l’échauffement spécifique bloc est optimal. Anouck Jaubert joue le jeu de cette simulation de Coupe du monde à 100%. Ce midi, pas de pause déjeuner officielle, puisque l’entraînement s’est prolongé jusqu’au début d’après-midi. « En général, je fais une petite pause entre 12h et 13h30 pour avaler un déjeuner rapide à la cafétéria d’à côté. Puis je reprends vers 14h pour ma séance de début d’après-midi. Un entrainement qui dépend de l’intensité de celui du matin. »
Pas besoin d’entraîneur pour la booster. Anouck Jaubert sait pourquoi elle est là. « J’ai toujours fait les choses pour moi, je sais pourquoi je m’entraîne, assure-t-elle avec simplicité. L’escalade reste un loisir pour moi. Un loisir qui prend en ce moment une place très importante dans ma vie certes, mais qui n’est pas ma raison de vivre ! Ma vie de couple, ma famille, mes amis, mes études, tout cela passe avant. Il est vrai que l’escalade est au premier plan en ce moment, parce que tout le reste est stable et me permet de m’investir à fond pour atteindre l’objectif que je me suis fixé. Je ne me préoccupe pas des médias, les journalistes ne s’intéressent qu’aux médailles. »
Un vague souvenir lui revient en mémoire : les Championnats du monde 2018, à Innsbruck (AUT), où la compétitrice s’est vue sortir dès les 8e de finale. « Innsbruck ? Non, je ne me souviens pas être allée à Innsbruck l’année dernière, plaisante-t-elle. J’évite de me remémorer ma plus mauvaise expérience de grimpe de l’année. Bien qu’elle m’ait permis de rebondir. Elle m’a inspirée pour réussir dans mes grands moments de 2018. Comme ma victoire lors de la Coupe du monde de Moscou, où je gagne en égalisant le record du monde. C’était exaltant d’entendre la Marseillaise chez les Russes, nation qui a dominé la vitesse mondiale pendant des années. Puis, ma victoire au classement général de la Coupe du monde, pour ma deuxième année consécutive. Une vraie consécration qui m’a prouvé que j’avais fait le bon choix dans ma vie. »
Le jour décline sur Voiron. La pénombre assombrit une à une les différentes structures en place sur le site de TSF : le mur de vitesse, le mur de difficulté, puis la nouvelle salle de bloc. Anouck Jaubert file pour sa dernière séance. Une séance de préparation physique spécifique à la vitesse dans la salle de musculation. « La vitesse reste ma discipline de prédilection, confie-t-elle. Si je souhaite avoir une chance de me qualifier à Tokyo, je dois absolument gagner en vitesse. Ma préparation s’est diversifiée depuis 2 ans, en s’ouvrant aux autres disciplines du combiné. Elle reste néanmoins focalisée sur la vitesse. Et compte tenu de mes qualités physiques, le simple fait de grimper en bloc et en difficulté est suffisant pour que je progresse dans ces disciplines. »
C’est à ce rythme infernal de trois séances quotidiennes, 4 à 5 jours sur 7, pour 20 à 25 heures hebdomadaires qu’Anouck Jaubert cadence sa vie. « Je me repose souvent le mercredi et le week-end. Il faut bien ça pour refaire la peau des doigts, c’est vraiment notre facteur limitant vis-à-vis de l’entraînement. Quand c’est trop rose, on ne peut plus rien faire de bon sur le mur. Au final, je m'entraîne quelques 150 jours dans l’année. » Quand elle se repose, la compétitrice redevient une jeune femme. Elle prend un peu de bon temps avec sa compagne ou travaille son mémoire de kinésithérapie : « J’ai la chance d’avoir eu des études vraiment adaptées à ma carrière d’athlète, confie-t-elle. Le seul inconvénient d’échelonner ainsi ses études, c’est de se retrouver chaque année dans une promotion différente. Difficile de tisser des liens avec les autres étudiants. »
Le soleil est couché, 19h a déjà sonné lorsqu’Anouck Jaubert rentre chez elle. Dès son retour, elle s’écroule dans son canapé : « Une vrai loque, s’amuse-t-elle. Je ne suis plus bonne à rien. Je mets en général un certain temps avant de trouver l’énergie d’aller prendre une douche, et de me faire à manger. Si ma copine est là, c’est elle qui fait la cuisine, car je suis une piètre cuisinière. Je ne sais pas faire grand-chose, mis à part les pâtes au gruyère, ma spécialité. » (rires)
En ce moment, pour finir sa soirée, la leader mondiale de la vitesse bouquine. « Ce n’est pas vraiment dans mes habitudes, mais en ce moment je lis le livre de Martin Fourcade. Ce n’est pas inintéressant d’avoir ses ressentis. Je suis dans le passage où il explique l’état d’esprit dans lequel il a abordé les JO. Je m’intéresse à la vision d’un sportif d’un autre sport. On a souvent tendance à idéaliser les gens qui passent à la télé. Finalement, c’est une personne normale, avec son stress et ses interrogations. Ce livre me permet surtout de me faire une idée des JO, de comprendre les raisons de tout ce battage médiatique. J’ai du mal à réaliser les enjeux. J’ai tendance à les imaginer comme une compétition comme les autres, où nous allons faire de la vitesse, du bloc et de la difficulté, comme les autres compétitions. » Néanmoins, cette année, ce que vise Anouck Jaubert, ce n’est pas une troisième victoire au classement général de la Coupe du monde de vitesse. C’est bel et bien son ticket pour Tokyo 2020.
Crédits photos : FFME, Christophe Angot/FFME, Remi Fabregue/FFME, Eddie Fowke/IFSC, Sytse van Slooten/IFSC, Forrest-Liu/IFSC, The Climbing Circuit.