Grande Voix a passé deux jours sur la Place du Mont-Blanc de Chamonix en compagnie des athlètes de l’équipe de France de difficulté. Plongée dans les coulisses de la sélection nationale, en pleine Coupe du monde d’escalade.
Une Coupe du monde d’escalade avec l’équipe de France commence par des retrouvailles. Celles de vieux copains, que les années à voyager autour du monde ont rendu inséparables. Celles d’un groupe de passionnés, que l’amour d’une discipline a lié depuis le plus jeune âge. Le sport de haut niveau, c’est aussi ça. C’est peut-être même avant tout, ça.
Avant la quête de performance, avant les médailles, ces jeunes gens ont trouvé dans cette camaraderie dès leurs premières années en équipe de France jeunes une envie supplémentaire de poursuivre leur engagement vers leur sport. Les joies de la vie de groupe.
A Chamonix, ces retrouvailles ont pris la forme d’un repas. Et même si ça ne faisait pas très longtemps qu’ils s’étaient quittés - la Coupe du monde de difficulté de Chamonix, où nous sommes allés rencontrer le groupe suivait presque directement celle de Villars en Suisse - les sourires étaient francs, les embrassades volontaires, devant ce restaurant de la rue Paccard de Chamonix.
Curieuse gymnastique au moment de passer commande. Des pâtes, des salades, et puis même quelques assiettes moins raisonnables. Et puis des demandes un peu particulières au serveur, certains grimpeurs ont un régime assez précis. « La veille d’une Coupe du monde, nous choisissons un restaurant avec la carte la plus large possible, pour faire en sorte que chacun puisse trouver l’assiette qui lui convienne. Ou presque. Après c’est la vie de groupe, il leur faut parfois faire des compromis, ce qui n’est pas évident dans le contexte d’une compétition internationale. Mais dans l’ensemble ça se passe bien », sourit Cécile Avezou, entraîneur de l’équipe de France et organisatrice en chef de ces moments plus déterminants qu’il n’y paraît pour l’escalade sportive française.
Car les repas sont un moment clé pour le groupe France. C’est celui du regroupement, où les annonces sont faites, où les choses se discutent. C’est celui de la détente, un moment hors de la bulle de la compétition. Et puisque l’alimentation reste une composante essentielle de la performance, notamment en escalade, c’est un sujet à ne surtout pas prendre à la légère. Dans le sport de haut niveau, le diable se cache dans les détails…
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« Durant une compétition, au sein d’un groupe élite d’athlètes, aucune approximation n’est permise. »
Cécile Avezou,
Entraîneur nationale de la difficulté
« Une petite erreur, une approximation (un restaurant qui livre les repas en retard ou qui oublie une commande, une réservation mal gérée…) peuvent très vite impacter ce qu’il se passe sur le mur. C’est une partie essentielle de notre travail d’encadrant sur place, de nous assurer que les athlètes soient dans les meilleures dispositions possibles pour performer. Qu’ils n’aient à aucun moment à se préoccuper de la logistique. Quand on travaille dans le haut niveau, l’erreur n’est pas admise. Et ça passe notamment par un travail de chef d’orchestre minutieux », poursuit Cécile Avezou.
Sur le pont du matin au soir ! Sur une Coupe du monde, un entraîneur national n’a pas un instant pour lui. Au pied du mur ou en isolement pendant toute la durée des tours de compétition, pour prodiguer conseils et encouragements. Pour féliciter ou réconforter.
« Pour les aspects sportifs, nous leur faisons comprendre que nous sommes à leur entière disposition. Certains ont besoin d’être bien encadrés, alors que d’autres préfèrent gérer leur compétition tout seuls », explique la sélectionneuse.
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« Il n’y a pas beaucoup de place pour l’improvisation sur un week-end de Coupe du monde. Chaque moment a son importance. »
Mathilde Becerra,
Équipe de France de difficulté
De l’hôtel à l’isolement. De l’isolement au mur. Du mur à la table de massage du kiné. Une feuille y est placardée, sur la porte du kiné de l’équipe de France. Les athlètes s’y inscrivent pour un créneau, en fonction de leur heure de passage sur le mur, de leur manière de gérer la récupération. Pourquoi ces rituels ? Pourquoi ce besoin de baliser le temps qui passe sur une journée de compétition ? Parce qu’en gérant parfaitement son timing et sa préparation, il y a une illusion de contrôle sur ce qui peut se passer sur le mur. On pourrait presque y appliquer un éclairage métaphysique, sur ce besoin de contrôle des événements qui entourent la performance. Le rituel rassure. Certains athlètes, tout du moins.
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« Je suis un athlète très superstitieux, le moment de l’isolement est une mécanique parfaitement huilée. »
Romain Desgranges,
Équipe de France de difficulté
Romain Desgranges et le rituel de l’isolement
« Tout (ou presque) y est millimétré. Du choix de la paire de chaussures que j’y porte, à la façon de traverser un passage piéton pour rejoindre le mur, jusqu'au sac à magnésie que je vais utiliser. J'ai le même modèle en cinq couleurs différentes, j’en sélectionne un selon mon humeur. Mais pour vous montrer à quel point je suis superstitieux, depuis mon titre de champion d’Europe, je grimpe uniquement avec le jaune, celui que j’avais le jour où j’ai pris le titre.
Je vais en salle d’isolement assez tôt, pour me mettre dans ma bulle. Quelques mouvements de Qi Gong et beaucoup d'étirements pour commencer. Puis environ deux heures avant de grimper, je commence l'échauffement en escalade. Préparer le physique mais aussi travailler sur les sensations, mes pieds, mon bassin. Puis quand c'est l'heure d’y aller, j’enfile les chaussons bien propres, avec les sur-chaussons bien-sûr. Et je tente de me relâcher, pour parvenir à faire mon nœud "sans trembler". Je lis et relis la voie, puis je pense à autre chose, pour déconnecter et pour amener de la fraicheur. Pour me rassurer, je me dis que dans 12 minutes maximum, je connaîtrai le résultat. Et puis c’est le moment d’y aller. »
Récupérer, se préparer pour le prochain tour et grimper, voilà tout ce qui concentre l’attention des athlètes en compétition ? Et bien non. Car le sportif de haut niveau est un personnage public. Pour se développer en tant qu’athlète professionnel ou simplement pour assurer sa part du contrat qui le lie avec ses sponsors, il doit apprendre l’art de la communication. Cet aspect de ta vie d’athlète est-elle centrale pour toi Mathilde ?
Et puis parfois, pour certains, la compétition s’arrête plus tôt que prévu. La compétition oui, mais la passion non. Combien sont-ils, leurs sweatshirts bleus floqués du drapeau tricolore, à passer devant un tracé qu’ils ne grimperont pas ; mais à tout de même lire la voie et répéter les mouvements de petits gestes discrets ? A échanger sur la méthode avec leurs compagnons d’infortune ? Et lorsque le mur s’illumine, que la voix du speaker Christopher Hardy annonce le début des hostilités, bien peu des déçus du tour précédent manquent à l’appel sur le site de compétition. L’esprit d’équipe.
Et que dire de ces moments magiques, quand l’or fut au bout de la voie pour un grimpeur français. A l’heure de la remise des médailles, toute l’équipe est là, devant le podium, bras dessus, bras dessous, à entonner en cœur la Marseillaise pour célébrer l’exploit de leur coéquipier. Cela n’arrivera malheureusement pas à Chamonix. Mais cette scène aura bien lieu deux semaines plus tard à Briançon. Romain Desgranges y triomphera.
Et si certains se demandent parfois où est l’esprit d’équipe dans les sports individuels, qu’il se souviennent de ces moments d’une intensité rare, où la seule pensée d’un champion, alors qu’il vient d’atteindre le sommet de sa discipline, est d’aller asperger de champagne ses coéquipiers, pour qu’ils fassent partie de la fête. Rires et larmes d’émotion se mêlent. Et chacun sait, à ce moment-là, pourquoi il continue tous les jours à retourner s’entraîner sur le pan. Pour ces moments magiques, où la performance sportive exceptionnelle est magnifiée par la précieuse - et délicieusement ordinaire - profondeur de la relation humaine.
Crédits photos : Rémi Fabregue/FFME, Johan Kervella - Graphisme : Lucas Boirat