A l’heure où le futur olympique de la discipline s’esquisse, le haut-niveau en ski-alpinisme connait une évolution significative, de l’entrainement aux scénarios de courses. Pour continuer à gagner, les meilleurs skieurs-alpinistes doivent-ils devenir des athlètes 2.0 ?
Tignes, 14 novembre 2020, 9h15. Cela fait déjà deux fois que Xavier Gachet atteint le sommet du glacier de la Grande Motte (3450m d’altitude). Deux fois que depuis le pied de la station à Tignes Val Claret, le skieur-alpiniste avale les 1400m de dénivelé qui le séparent du point le plus haut de la station accessible à skis.
« C’est encore tôt dans la saison, donc pour le moment je fais encore beaucoup de foncier, d’heures sur les skis », lâche nerveusement le numéro 1 de l’équipe de France ces dernières saisons, lorsqu’on lui demande un petit commentaire sur son programme de la semaine, avant de reprendre sa descente à pleine vitesse.
Et il n’est pas le seul à monter/descendre sur les pistes de Tignes, fermées au public en ce début de saison marquée par la crise sanitaire COVID-19. Bientôt, le glacier désert se pare de petites touches bleu-blanc-rouge. L’équipe de France de ski-alpinisme au grand complet accumule frénétiquement les montées, dévore les rapides descentes pour plus vite retrouver la cadence hypnotique de l’ascension.
Entre 3000m et 4500m de dénivelé par jour depuis 4 jours selon les athlètes, soit, pour certains, presque un Mont-Blanc durant chaque journée de stage. « C’est la base de leur entraînement et ça l’a toujours été. A minima, 70% de la préparation de ces athlètes, c’est de l’endurance fondamentale sur les skis. Quelles que soient les évolutions que l’on entreprend, on ne se défera pas de ces longues heures sur les skis », introduit Thierry Galindo, entraîneur de l’équipe de France.
Les skieurs-alpinistes ne lésinent pas sur la quantité horaire passée en montagne chaque année, « entre 500 et 800 heures par an selon les coureurs sur les skis, sur le vélo ou en courant », assure Thibault Anselmet, espoir de l’équipe de France. Certains boulimiques de l’entrainement dépassent même ce volume : lorsqu’il était sur le circuit ISMF, l’Espagnol Kilian Jornet était connu pour cumuler près de 1000 heures d’entraînement par an, à pieds et sur les skis.
« L’endurance fondamentale, c’est la base, poursuit Thibault Anselmet, d’ailleurs lorsque l’on se compare aux autres sports d’endurance, on retrouve chez ces autres athlètes cette prépondérance du volume en endurance. D’autant que pour nous, la progression en montagne a aussi une dimension technique. Il faut savoir « poser le pied » sur des terrains parfois scabreux. Cela demande un peu d’engagement et surtout de passer du temps en montagne pour rester à l’aise lorsque cela devient périlleux. »
« Les heures sur les skis ». Voilà ce qui était l’alpha et l’omega de la majorité des athlètes de haut-niveau en ski-alpinisme, il y a encore quelques années. « Même s’il y a toujours eu des coureurs pour sortir des sentiers battus et essayer des modalités d’entrainement différentes, ce n’était pas représentatif d’une tendance : il n’y a pas si longtemps, ceux qui gagnaient étaient des montagnards qui avaient la caisse. Aujourd’hui, ceux qui gagnent, sont des sportifs de haut-niveau », explique Thierry Galindo.
De montagnards à sportifs de haut niveau. Aujourd’hui, en équipe de France de ski-alpinisme, les habitudes d’entrainement dépendent beaucoup de la « culture » du skieur. « Certains sont avant tout des montagnards et pratiquent le ski-alpinisme car ils aiment passer beaucoup de temps là-haut. Ceux-là ont parfois du mal à se résoudre à faire autre chose que de longues sorties dehors. Mais d’autres athlètes de l’équipe ont un passé d’athlètes dans d’autres disciplines et cela se ressent dans leur capacité à diversifier l’entrainement. Ceux qui viennentdu ski alpin, par exemple, peuvent avoir l’habitude la musculation et certains auront plus tendance à l’intégrer dans leur préparation. » Chausser les skis au soleil ou aller faire du gainage dans une salle ? Souvent, l’appel de la montagne est plus fort.
Mais aujourd’hui, il y a un constat partagé de tous : on peut perdre une course individuelle de Coupe du monde pour quelques secondes. « Ça devient très rare qu’un coureur passe la ligne avec 4 minutes d’avance », assure Thibault Anselmet. Ce constat impose aux athlètes de s’adapter et d’intégrer des objectifs de gain en explosivité dans la préparation. « On voit de plus en plus de pelotons qui éclatent subitement à la suite d’un changement de rythme brutal d’un coureur. Les techniques et scénarios de course évoluent et l’entrainement doit s’adapter », complète Thierry Galindo. L’entraineur national de poursuivre : « aujourd’hui, en 10 secondes, tu peux perdre un podium de Coupe du monde. Si l’athlète n’essaie pas d’aller chercher le petit détail qui peut le faire progresser ou de corriger celui qui peut le faire perdre, il peut passer à la trappe bêtement sur une course. »
De l’importance de la « data ». Aujourd’hui, l’évolution de la technologie notamment des différents outils de test et des montres GPS mais aussi par exemple des capteurs positionnés sur les skis développés par Pomoca pour analyser le mouvement du skieur permettent de centraliser un grand nombre de données qui accompagnent la planification et affinent la technique. « Il y a les données physiologiques que nous utilisons. Tests de VO2max sur tapis pour déterminer les zones d’entraînement, tests d’effort sur les skis en comparant différentes techniques, contrôle de l’intensité avec la lactatémie, analyses d’urines quotidienne en stage pour vérifier la bonne hydratation, contrôle du taux d’oxygénation du sang lors des stages en altitude… Mais nos datas ne sont pas seulement physiologiques : nous travaillons également à affiner les aspects techniques grâce à des tests avec des outils qui étudient l’impact du mouvement, glisse ou pas de course, sur la performance. On essaie de comprendre ce qui est le plus efficace et à quel moment. Parce que, aujourd’hui, force est de constater qu’une course se gagne aussi en courant. Ceux qui ne courent pas ou qui ne changent pas de rythme, auront désormais du mal à gagner sur une course verticale ou individuelle. »
Le double suivi. Reste ensuite à assurer la mise en application des protocoles d’entrainement retenus. « Les athlètes sont tous accompagnés par des entraineurs. C’est le cas depuis longtemps. Désormais, j’assure également un suivi de chacun tout au long de la saison. J’échange régulièrement avec les athlètes et lorsque l’on prévoit un stage, j’envoie en amont le programme aux entraineurs. En parallèle, on travaille avec une plateforme de suivi de l’entraînement que tous les entraineurs FFME peuvent utiliser. L’athlète entre ses séances et ses données sur la plateforme et cela permet de suivre leur état de forme et leur progression. Cela permet aussi d’impliquer les skieurs-alpinistes dans leur projet, de les acculturer à réfléchir leur préparation et de suivre leurs données », explique Thierry Galindo. Un dispositif de suivi qui reste sur la base du volontariat en équipe de France, mais que de plus en plus d’athlètes choisissent d’observer.
Faire évoluer « l’état de l’art ». Un constat demeure : la recherche dans l’entrainement des skieurs-alpinistes est balbutiante. « Alors je m’inspire pas mal des sports que j’ai connus. D’abord de l’athlétisme car il y a beaucoup de connaissance dans ce domaine, ensuite du ski de fond car c’est à mon sens un effort qui se rapproche beaucoup de notre discipline. J’ai aussi passé pas mal d’années dans le triathlon et, question charge d’entrainement, les triathlètes ont appris à accumuler les heures avec plusieurs séances par jour. Cette expérience nous éclaire pas mal », explique l’entraineur national.
« Mais il ne faut pas oublier que nous sommes plus qu’un sport d’endurance, il y a également la descente qui se rapproche beaucoup du ski alpin. Sur la partie musculation, je vais aussi piocher de ce côté-là, pas seulement vers les sports d’endurance. Ces deux approches ne sont d’ailleurs pas antinomiques. » A bien des égards, le ski-alpinisme est un sport qui connait ses propres particularités : calquer les procédés d’entrainement des athlètes sur les modèles d’autres sports est un fonctionnement qui a ses limites. Mais pour affiner la pratique de haut-niveau, il est nécessaire de faire évoluer la connaissance générale autour du ski-alpinisme.
Pour faire avancer l’état de l’art, Thierry Galindo participe à améliorer la compréhension de ce futur sport olympique en compilant les informations qu’il recueille auprès des athlètes, en adaptant des protocoles d’entrainement connus au ski-alpinisme, « mais beaucoup reste à faire », assume l’entraîneur national. Le staff de l’équipe de France travaille également auprès des équipementiers pour faire évoluer le matériel.
« L’équipement a beaucoup changé en ski-alpinisme mais il reste une grande question : comment bien faire glisser des peaux à la montée ? En ski de fond et en ski alpin, le fartage des semelles est devenu une véritable science qui impacte directement le déroulement des courses. En ce qui nous concerne, on ne sait toujours pas vraiment comment améliorer la « glisse » d’une peau de phoque. Personne ne sait vraiment en réalité. Nous avons bien nos petits secrets pour y concourir, mais il reste encore beaucoup à comprendre sur ce terrain », explique l’entraîneur national.
Si la préparation et l’optimisation de la performance en compétition connaissent bien des évolutions significatives depuis quelques années, il reste encore à faire pour que les skieurs-alpinistes rejoignent leurs confrères d’autres sports olympiques comme les fondeurs ou les skieurs alpins. Cela passe bien sûr par une amélioration de la compréhension dans ce sport mais aussi par une évolution des équipements et des habitudes des athlètes. Parce qu’en ski-alpinisme, au niveau international, la médaille semble bien désormais réservée à des athlètes 2.0
Crédits : Orcelia Jane (travail graphique) / FFME (texte et photos)