La riche histoire de l’escalade olympique a atteint son moment de grâce lorsque, le 3 août 2016, notre sport devenait une épreuve des Jeux de Tokyo (JPN) en 2020. Mais comment s’est déroulé ce long chemin vers le sommet de l’Olympe ? Et que sait-on aujourd’hui du format de l’escalade olympique ?
Le soulagement. Le 3 août 2016 - dans sa 129e Session réunie à Rio en amont des Jeux Olympiques - le CIO mettait fin à une attente de près de 30 ans des instances fédérales nationales et internationales. L’escalade est olympique. Elle sera au programme des Jeux de Tokyo en 2020.
« Nous sommes ravis ! Les Jeux ont été notre rêve depuis un certain temps maintenant et notre persévérance a enfin payé. Nous aimerions remercier le CIO d'avoir offert cette opportunité unique à notre sport. » Derrière les remerciements convenus de Marco Scolaris - le président de l'IFSC - transparait pourtant une émotion des plus sincères.
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« Une anomalie vient d'être corrigée : un des mouvements les plus naturels du corps humain - grimper - a son prolongement sportif aux Jeux Olympiques ! »
Pierre You,
président de la FFME
« C'est l'aboutissement de nombreuses années de travail de la fédération internationale et de ses membres. Nous nous en réjouissons à la FFME », déclarait de son côté Pierre You. Soulagement.
Près de 30 ans d’attente. Revenons en arrière. Quand est née l’ambition olympique de l’escalade ? Il faut remonter loin dans la riche histoire de notre sport. Loin, bien avant la création de l’IFSC, la Fédération internationale de l’escalade sportive, qui chapote aujourd’hui le déroulement du circuit international… et la concrétisation du rêve olympique. Loin, à une époque où l’Union internationale des associations d’alpinisme - l’UIAA - avait en son sein l’escalade sportive.
On est alors en 1989. Les premières compétitions officielles d’escalade ont eu lieu quatre ans plus tôt. Face à l’effervescence qu’elles suscitèrent alors, la fédération française et Paul Brasset ont mené un mouvement pour convaincre l’UIAA de reconnaître la pratique et de créer un circuit international. Les coupes du monde de difficulté, puis de vitesse, venaient de voir le jour. Le bloc les rejoindra 10 ans plus tard.
L’UIAA crée alors le Comité international des compétitions d’escalade (CICE), une entité en charge d’écrire les règles de l’escalade sportive. Pascal Mouche en prend la présidence et accentue l’influence du CICE au sein de l’UIAA. C’est à cette période, selon Pierre You, que débute le rêve olympique de l’escalade. Autrement dit, des premiers instants de l’histoire de l’escalade sportive.
Une ambition qui prend la forme de discussions avec le CIO. « Tout cela est venu assez naturellement, l’escalade sportive a toujours intéressé le CIO. Même si nous n’étions qu’un sport parmi d’autres à avoir du potentiel. Il a fallu faire nos preuves », poursuit le président de la FFME.
Et pour cela, il fallut faire scission. « L’UIAA n’a en réalité jamais su prendre le virage de l’escalade sportive », assume Pierre You. Après 15 années d’évolution de la compétition au sein du CICE, et sous la présidence de Marco Scolaris, il était temps pour les 57 fédérations nationales d’amorcer un tournant historique : la sortie de l’UIAA, qui abandonna en 2006 l’organisation des compétitions d’escalade. Le 27 janvier 2007, l’IFSC voyait le jour, et le 10 décembre de la même année, le CIO reconnaissait provisoirement la fédération internationale, intégrant temporairement l’escalade au sein du Mouvement Olympique. Une intégration qui deviendra définitive le 12 février 2010.
« L’organisation par la FFME des Championnats d’Europe à Bercy en 2008 n’est pas pour rien dans cette reconnaissance. Nous y avions prouvé tout le potentiel de notre sport », assure Pierre You.
Le train vers l’olympisme était en marche. Le 4 juillet 2011, à l’instar de sept autres sports, le comité exécutif du CIO intègre l’escalade sur la shortlist pour une intégration au programme olympique des JO de Tokyo en 2020. Notre sport entrait dans une nouvelle dimension. Pour convaincre le CIO de choisir l’escalade, la FFME se relançait dans l’organisation d’un grand championnat. Les Mondiaux de 2012 à Paris-Bercy. Résultat ? Une fête grandiose, et une vraie vitrine pour l’escalade sportive. Mais du côté du CIO, tout ne s’est pas passé comme prévu.
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« Cela a vite pris un tournant très politique, et il faut bien le dire – dans les années qui ont suivi – une tournure très chaotique »
Pierre You,
président de la FFME
Vous vous en souvenez peut-être. Nous étions en 2013, l’affaire de la sortie à l’horizon 2020 - puis de la réintégration sans discontinuer - de la lutte gréco-romaine au programme des Jeux rythmait l’actualité olympique.
Quel rapport avec l’intégration de l’escalade au programme de 2020 ? Il peut paraître très lointain. Et pourtant, à ce moment-là, cette affaire a eu comme dommage collatéral l’abandon pur et simple de la shortlist de 2011. Chaotique, on vous disait ?
« Nous nous étions fait une raison : il fallait se remobiliser pour 2024. Après 2012, nous reprenions donc l’organisation des Championnats du monde 2016 pour redonner un bel écrin à notre sport », poursuit Pierre You. La grande fête de l’escalade mondiale eut bien lieu en 2016. Et de l’avis de tous, elle fut superbe.
Mais… Entre temps, le train s’est remis en marche du côté du CIO. Le 10 septembre 2013, Thomas Bach prenait la succession de Jacques Rogge à la tête de l’instance suprême. Et quelques mois plus tard, le président du CIO remettait le nez dans les dossiers brûlants.
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« Il a voulu sortir de l’imbroglio de la shortlist de 2011. Et pour cela, il a écrit une nouvelle page de l’histoire olympique »
Pierre You,
président de la FFME
Une année plus tard, en décembre 2014, le CIO approuvait à l'unanimité l'Agenda olympique 2020. Dans son contenu, était proposé l'ajout de nouveaux « évènements » - comprendre de nouvelles épreuves - pour les JO 2020.
Et c’est là que Thomas Bach changea la donne : ces sports additionnels seront désormais à l’initiative du comité d’organisation des JO (COJO). Après que huit évènements aient été shortlistés, l'IFSC et la fédération japonaise d'escalade ont présenté leur proposition à Tokyo un an plus tard. Suivant les « guidelines » du CIO - proposer des sports avec des perspectives importantes en terme marketing et propres à toucher la jeunesse - le COJO proposait cinq disciplines, dont l’escalade.
En juin 2016, le comité exécutif du CIO approuvait à son tour ces cinq évènements, qu'il restait à soumettre pour validation définitive lors de la Session du CIO. Le baseball/softball, le karaté, le skateboard, le surf et l'escalade avaient alors de grandes chances d'en être à Tokyo ! C’est chose faite le 3 août dernier : à l’instar de ces quatre autres sports, l’escalade devenait olympique. On y est !
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« En devenant sport olympique, nous entrions dans une nouvelle dimension. Dans le paysage sportif, c’est incontestable, une fédération olympique est perçue différemment. L’olympisme va tirer l’escalade vers le haut. Et à la FFME, nous allons mettre à profit ce nouvel élan, et le placer au service d’un développement global de tous nos projets »
Pierre You,
président de la FFME
Quelques semaines plus tard, autre grande nouvelle : l’escalade sera aussi intégrée au programme des Jeux Olympiques de la Jeunesse de Buenos Aires (ARG), du 6 au 18 octobre 2018. Du côté de l’handi-escalade, l’IPC – le Comité international paralympique – a reconnu cette année l’IFSC. L’escalade intègre le Mouvement Paralympique : un premier pas essentiel pour – un jour – intégrer le programme des Jeux Paralympiques.
Au travail ! Cette annonce a surtout été le point de départ d’un long processus de réflexion autour d’une question centrale : quel format pour l’escalade olympique ?
Comment, dans un sport qui compte trois épreuves à part entière, n'attribuer que deux médailles, une pour les femmes et une pour les hommes, en ne laissant aucune discipline sur le côté ?
Le deal est simple : seuls 20 femmes et 20 hommes pourront participer à l’épreuve olympique de l’escalade. C’est une décision prise entre le CIO et le COJO. Il ne peut donc y avoir qu’une médaille pour les femmes et une pour les hommes. Un casse-tête pour la gouvernance de l’escalade. Pour s’en démêler, et ne laisser aucune discipline sur le carreau, l’IFSC a fait le choix de contourner le problème, et de proposer au CIO un format combiné de la vitesse, du bloc et de la difficulté.
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« Bien sûr que l’ensemble des acteurs nationaux et internationaux auraient préféré voir les trois disciplines constituer des épreuves à part entière. Cette ambition reste encore aujourd’hui dans les esprits quand on envisage le futur de l’escalade »
Damien You,
directeur des équipes de France
Il était donc temps de se lancer dans la construction du format du futur combiné olympique. Avec plusieurs impératifs : respecter les grimpeurs, respecter les disciplines, respecter le public et intégrer le cahier des charges du CIO. Des directives de l’instance olympique, qui portent notamment sur des questions de durée d’épreuves et de contraintes de retransmission télévisuelle. Pas une mince affaire.
La FFME et Austria Climbing, la fédération autrichienne d’escalade, ont proposé aux cinq autres fédérations nationales les plus importantes - celles qui contribuent le plus au développement du sport - de faire des propositions, de les tester en conditions réelles, et d’en tirer une ou plusieurs propositions à faire à l’IFSC. Le groupe de travail a simultanément informé l’IFSC de sa constitution, initiative que le bureau exécutif de la fédération internationale a ensuite validée. Cette mission a, par la suite, été observée de près par le directeur des sports de l’IFSC, Jérôme Meyer.
Ce groupe de travail - composé des fédérations italiennes, autrichiennes, russes, japonaises, chinoises, espagnoles et françaises - a commencé à plancher à l’automne 2016. « Ce fut un processus très intéressant. Cela a permis à chacun d’exprimer sa vision de notre sport et de confronter les différentes cultures de l’escalade. Les Chinois ne perçoivent pas nos disciplines de la même manière que les Autrichiens, par exemple », explique Damien You. Discussions, séances de travail, et les 3 et 4 décembre derniers, un « test event » à Voiron en France, où l’ensemble des fédérations du groupe se sont retrouvées pour tester en conditions réelles - et avec des athlètes internationaux - les différentes propositions.
« Nous sommes parvenus à trouver un compromis. Car oui, c’est un compromis. Et nous avons livré le tout à l’IFSC en début d’année. C’est la fédération internationale qui a eu le dernier mot », assure Damien You. L’IFSC s’est prononcée le 11 mars 2017, durant son assemblée générale à Québec (CAN), sur la proposition qu’elle a retenue. Et voilà ce que l’on sait aujourd’hui du format olympique de l’escalade :
Quelles sont les premières conclusions que l’on peut en tirer ?
- On ne sait pas encore quel sera le processus de sélection pour les athlètes qui concourront à Tokyo. « Une seule chose est sûre : ils seront sélectionnés via une compétition au format olympique. Un champion du monde sur une seule discipline ne sera pas sélectionné automatiquement par exemple », explique Damien You.
- La finale se déroulera d’une seule traite, par l’enchaînement - dans cet ordre - de la vitesse, du bloc et de la difficulté. Et pourquoi dans cet ordre ? « Parce que compte-tenu du type d’effort dans chacune des disciplines et de leur timing, il était évident de choisir cette formule. »
- Au-delà de quelques ajustements réalisés cette saison par l’IFSC (5 et 4 minutes sèches en bloc et 6 minutes maximum en difficulté), pas de grand bouleversement sur le déroulement des trois disciplines n’est à observer : la vitesse, le bloc et la difficulté se dérouleront selon le règlement de la Coupe du monde IFSC. « Il est important de montrer aux yeux du monde de vrais sports avec des athlètes de pointe. A moins de 4 ans des Jeux, il n’était pas possible d’opérer de grands changements, au risque de faire concourir des grimpeurs qui auraient dû s’adapter fortement à chacune des disciplines, en plus de devoir appréhender la formule combinée. »
- Les classements à l’issue des qualifications et des phases finales se faisant en multipliant les rangs des résultats des trois disciplines, il favorisera les spécialistes. Les spécialistes d’une des trois disciplines ? « Je ne pense pas. Mon sentiment, c’est que le(la) futur(e) champion(ne) olympique sera un(e) grand(e) spécialiste d’une, voire de deux disciplines. Athlète qui aura su, en plus, ne pas passer complètement à côté de la 3e », conclut Damien You.
Et après Tokyo ? Rien n’est entériné pour le moment. L’escalade a deux moyens d’être aux JO 2024 à Los Angeles (USA) ou à Paris (FRA) : être à nouveau choisi en sport additionnel, ou intégrer le programme olympique par la grande porte. Encore une fois, une seule chose est sûre : nous saurons cet été si cette 2e option a été choisie par le CIO. Affaire à suivre.
Crédits images (dans l'ordre) : Eddie Fowke / IFSC - Sytse Van Slooten / IFSC - Rémi Fabregue / FFME - Rémi Fabregue / FFME - Eddie Fowke / IFSC - Rémi Fabregue / FFME - FFME - FFME - Rémi Fabregue / FFME