Au total, vingt-deux étapes de Coupe du monde d’escalade attendent les athlètes des équipes de France de bloc, difficulté et vitesse. La saison 2018 s’annonce d’autant plus ardue que la polyvalence à laquelle invite le nouveau format olympique en poussera plus d’un à tenter le grand chelem. En France, les meilleurs grimpeurs du monde se préparent, s’affutent et peaufinent leur préparation. Retour sur ces premiers instants.
Il faut attendre le printemps, pour voir se profiler les premières étapes de la Coupe du monde d’escalade. C’est la discipline du bloc qui, comme un rituel, ouvre le bal de la saison internationale chaque année. Puis, une semaine après, la vitesse s’invite dans la danse. La difficulté les rejoindra bien plus tard, en juillet. Une chorégraphie parfaitement orchestrée peut alors commencer. Vingt-deux rendez-vous en bloc, difficulté et vitesse, s’articulant autour de l’événement principal que sont les Championnats du monde, sont à l’affiche de cette nouvelle saison d’escalade. Alors que l’équipe de France de bloc lustre les chaussons et peaufine les derniers réglages, les athlètes de la vitesse quant à eux achèvent leur première représentation sur le Championnat de France. En difficulté, chacun répète encore dans son coin, inlassablement, les mouvements, attitudes et intentions qui mènent à la victoire. Visite en coulisses.
La saison internationale sénior sera lancée les 13 et 14 avril prochains en Suisse, avec la première étape de la Coupe du monde. En bloc, la saison 2018 se clôturera à l’occasion des Championnats du monde mi-septembre, après sept étapes de Coupe du monde. Une invitation pour cinq mois de compétitions à travers le globe pour les meilleurs bloqueurs mondiaux. « Pour l'optimisation de la performance tout au long de cette saison, la préparation doit être entamée à l'automne, explique Daniel du Lac, promu au poste d’entraîneur national de l’équipe de France de bloc avec Jacky Godoffe, en octobre dernier. Ce qui n’offre en général qu’un petit mois de repos pour les athlètes. En tant qu’entraîneurs, nous insistons tous beaucoup sur cette coupure que ne respectent que très peu de grimpeurs. Ce n’est pas dans leur culture et ils sont souvent trop passionnés pour ça. Pourtant, il est impératif de comprendre que la performance est toujours le fruit du travail et de l’entraînement, mais surtout de la récupération. Si on oublie de récupérer, on ne laisse pas le temps au corps de se régénérer, de surcompenser. On arrive en surentraînement et on risque la blessure. »
« Après mon titre mondial, j’ai en effet cumulé pas mal de blessures. Les saisons ne se sont pas passées comme je l’aurai espéré, témoigne Mélanie Sandoz, championne du monde de bloc en 2012. Depuis juin dernier, j’ai néanmoins remis le pied à l’étrier. Je suis suivie par un entraîneur personnel car j’avais vraiment besoin de quelqu’un qui suive ma préparation de très près pour optimiser mes qualités. En dépit de mon titre, j’ai encore la sensation de ne pas être allée au bout de ce que je peux faire en escalade. Sélectionnée en équipe de France, je me sens entièrement en confiance et j’ai hâte que ça commence ! »
Manu Cornu, champion de France de bloc et vice-champion de France de vitesse 2018, s’entraîne dans les trois disciplines sur le pôle France de Voiron, via le programme de préparation olympique. « Dans mon quotidien, l’entraînement commence à 9h30 et se termine à 18h, avec une pause entre 12h et 14h, et ce, cinq jours sur sept. Face à ce volume, je fais varier les intensités en fonction de mon état de forme et des échéances et je suis particulièrement attentif aux signaux de mon corps pour éviter les blessures, qui m’ont souvent handicapé les années précédentes. »
Léo Avezou, encore junior, est déjà dans une démarche quasi-professionnelle. Coaché à domicile par sa mère, entraîneur national de difficulté, il s’entraîne à raison de 15 à 20 heures hebdomadaires. « Ma mère établit mon entraînement au quotidien. Nous cherchons toujours à y apporter des nouveautés, qui font appel non seulement à la force, mais également à l’équilibre, à la vitesse et à la coordination, qualités dont nous avons de plus en plus besoin dans l’escalade de bloc. Les séances sont donc généralement ludiques et basées sur des jeux de force plus que sur des séries classiques. »
Mathilde Becerra fait partie des athlètes qui s’entraînent quotidiennement sur le pôle France de Voiron. « Je n'ai quasiment jamais de baisse de motivation, sauf parfois, après une contre-performance en compétition. Dans ces cas-là j'essaie de me focaliser sur le fait que j'aime l'escalade avant tout. La compétition n'est qu'une petite partie de ma passion et en aucun cas elle doit prendre trop d’importance. Je n'ai rien à prouver à personne. Le plaisir que me procure la performance, qu'elle soit en compétition ou en falaise, reste une satisfaction personnelle, un défi avec moi-même. »
Julia Chanourdie, leader de l’équipe de France de difficulté, bénéficie d’une grande expérience de compétitrice. Et les heures passées sur les prises ne la dispensent pas d’une grande vigilance. « Je m’entraîne cinq jours sur sept, ce qui m’occupe environ 20 à 25 heures par semaine. C’est un sacré volume qui implique de rester bien à l'écoute de mon corps et d’être capable de me réadapter rapidement. Mon secret pour ne jamais être lasse, c’est la variété. Je passe mon temps à bouger, dans différentes salles d'escalade en Rhône-Alpes, en Suisse et surtout en falaise. J’ai vraiment besoin de grimper dehors et d’y avoir des projets. Et depuis que je me suis lancée dans la préparation pour le combiné olympique, je varie en plus les styles d’escalade en tournant sur les trois disciplines. »
Pourtant, tous les athlètes en escalade ne bénéficient pas forcément de cette liberté d’emploi du temps. Salarié pour la ligue d’escalade de Nouvelle Calédonie et père de famille, Bassa Mawem, champion de France de vitesse 2018, a été contraint de réorganiser son entraînement pour l’accorder avec sa nouvelle vie. « Je m’entraîne quatre fois par semaine, entre 12 et 15 heures en moyenne, et essentiellement sur mon lieu de travail, pendant les pauses. Mon entraînement va à l’essentiel. Il est donc exclusivement basé sur l’escalade de vitesse, avec des séances optimisées. C’est un choix que j’ai fait par manque de temps. Il me permet d’associer ma vie de famille et mon travail à ma carrière sportive. Je me suis également rendu compte que de me disperser dans des préparations parallèles était souvent contre-productif. J’arrivais fatigué au pied du mur avant même de commencer à grimper.»
D’autant que la saison de vitesse est la plus longue : elle commence en même temps que celle du bloc et se termine avec la difficulté. La planification est donc particulièrement complexe à appréhender. En général, la coupure des grimpeurs de vitesse dure un petit mois. Les athlètes reprennent l’entraînement fin novembre par une longue phase de volume. « Les athlètes doivent emmagasiner des kilomètres d’escalade dans les bras, pour reprendre des repères avant de s’attaquer au développement de la force, en janvier, détaille Sylvain Chapelle, entraîneur national. La force, c’est important en vitesse, car il faut à la fois tirer fort et tirer vite. Puis, en février et mars, on commence à se rapprocher des premiers sélectifs, on s’oriente enfin sur le spécifique, à savoir la vitesse et l’explosivité. En avril, on entre dans les simulations de compétition. Une phase délicate, où il faut produire des runs à vitesse élevée, comme en compétition, sans pour autant se fatiguer. Nous avons mis en place la « survitesse », une technique qui allège les athlètes d’une bonne dizaine de kilos en plaçant un poids sur la corde côté assureur. Ainsi, ils peuvent grimper à leur vitesse maximale, avec un minimum de fatigue. Pendant ce temps, le cerveau s’habitue et prend des automatismes précieux. »
La mixité est une force
Mi-février, les équipes de France d’escalade de bloc et de difficulté se sont rejoints pour un stage commun à Paris.
Thomas Joannes est en équipe de France depuis déjà de nombreuses années. Attaché à son autonomie, il a fait le choix d’être son propre entraîneur, mais rejoint volontiers ces stages nationaux. « Depuis que je suis cadet, j’ai pris mon entraînement en main. Avec un master STAPS et mes études de kinésithérapeute, je me sens suffisamment qualifié et surtout, je considère que je reste le plus apte à juger de ce dont j’ai besoin. Néanmoins, je manquais de partenaires d’entraînement. C’est pour cela que cette année, je me suis rapproché du pôle France de Voiron. Ces opportunités de stage sont de bons moyens de recréer de l’émulation. »
« Avec le groupe de la difficulté, nous avons vraiment attaqué la saison avec ce stage, explique Cécile Avezou. C’était une période où nous travaillions la force. Nous en avons d’ailleurs profité pour faire des tests sur la force pure, sur la force vitesse, l’endurance et la VMA et enfin des tests de souplesse et d’équilibre. L’occasion de faire le point en début d’année pour voir où en sont les grimpeurs et même de déterminer les conduites à privilégier pour éviter les blessures. Pour cela, nous avions tout un panel d’intervenants. »
Sur le bloc en revanche, considérant la proximité des premières échéances, la phase de travail spécifique est déjà lancée.
Chez les jeunes, on apprécie énormément ces rassemblements. Pouvoir grimper aux côtés des meilleurs Français est particulièrement motivant.
Charlotte Andre fait partie de cette prometteuse relève. Athlète du CREPS d’Aix-en-Provence, elle dépasse généralement les 10h hebdomadaires d’entraînement. « Il m’arrive régulièrement de faire deux séances dans la même journée, tout dépend du cycle d’entraînement dans lequel on est. J’ai fait le choix de m’installer dans un pôle, car entre le matériel à disposition, l’équipe sur place et la cohésion du groupe, c’est une vraie opportunité pour ma préparation. »
Nicolas Pelorson, sacré champion du monde de bloc chez les jeunes, s’entraîne, lui aussi, inlassablement. Et si la motivation baisse, il puise de nouvelles ressources en grimpant sur du caillou. « Je m’entraîne 15 heures par semaine au bas mot. Il est rare que je perde de la motivation car c’est un sport très riche et peu répétitif. Si je suis las du bloc, je fais un peu de voie, et si j’en ai marre d’aller en salle, je vais grimper dehors. Parfois, lorsque je passe un peu à côté d’une compétition, je vais grimper en extérieur. De quoi m’aérer l’esprit tout en continuant à grimper et ainsi, reprendre l’entraînement avec un maximum de motivation. »
Crédits photos : FFME, IFSC, Guillaume Peillon.