L’ouverture serait-elle une histoire d’hommes ? Si on ne s’en tient qu’aux statistiques, on pourrait presque s’y méprendre. En France, elles ne sont que trois femmes à ouvrir sur les compétitions de niveau national sur 38 ouvreurs. Une présence quasi anecdotique là où une forme de parité soutiendrait considérablement l’évolution de l’escalade. Explications et rencontres avec ces femmes qui dessinent l’escalade de compétition.
C’est un fait, les femmes qui ouvrent en France au niveau national se comptent aujourd’hui sur les doigts d’une main. Un phénomène difficilement compréhensible pour Jacky Godoffe : « Les femmes et l’ouverture, c’est une histoire qui, malheureusement pour l’escalade, a beaucoup de mal à prendre, s’attriste le CTN et ouvreur international. Il faut avouer qu’historiquement, l’escalade de compétition était plutôt une affaire d’hommes. Les voies masculines étaient les plus difficiles sur les compétitions et aucune fille ne se sentait capable d’y grimper, encore moins de les ouvrir. Aussi, naturellement, on pensait que l’ouverture était un domaine plutôt réservé aux hommes. Mais ce qui est étonnant aujourd’hui, c’est qu’en dépit de l’évolution du genre en escalade, qui penche vers une parité parfaite de pratiquants, l’ouverture au féminin reste marginale. »
Un constat observable également à l’international, puisque la première ouvreure internationale, la Slovène Katja Vidmar, n’officie que depuis cette année. Soit trente ans après les débuts de l’escalade de compétition.
Pourtant, ces dernières années, avec le développement des salles d’escalade, la démocratisation des compétitions et l’avènement de l’olympisme, le style de l’escalade a beaucoup évolué et le niveau des femmes s’est considérablement relevé. « Aux balbutiements de l’escalade de compétition, la difficulté d’une voie était dosée en fonction de la force physique qu’elle impliquait et de l’éloignement des prises, précise Jacky Godoffe. Aujourd’hui, les qualités intrinsèques de l’escalade sont la souplesse, le placement intelligent, la pose des pieds, la force dans les doigts, l’explosivité. Des caractéristiques sur lesquelles les femmes peuvent rivaliser. »
Etonnant que le charme de l’ouverture ne parvienne pas encore à séduire la gente féminine. Florence Pinet, ouvreure depuis 2011, en est une des plus expérimentées. La jeune femme a commencé à ouvrir des compétitions en mettant fin à sa carrière d’athlète internationale. « J’avais envie de passer de l’autre côté de la barrière et surtout de créer. J’ai toujours aimé la gestuelle en escalade. Ouvrir est un moyen d’expression dans notre sport. Aujourd’hui, j’ai beaucoup de plaisir à proposer aux grimpeurs ma façon de voir l’escalade. La magie de l’ouverture réside dans notre pouvoir à faire découvrir de nouveaux styles et des sensations de grimpe inédites. Cela implique d’être passionnée, évidement, mais également de nourrir l’envie de transmettre cette passion. »
Le constat est similaire pour Hélène Janicot, ouvreure internationale stagiaire : « Je me suis engagée depuis l’année dernière dans le cursus d’ouvreure, après plusieurs années de compétitions aux quatre coins de monde. J’étais curieuse de comprendre comment fonctionne l’élaboration de ces voies qui nous sont proposées sur toutes ces étapes internationales. J’ai beaucoup grimpé en compétition et j’y ai croisé tous les styles. De sublimes comme de médiocres ouvertures. Créer une voie bien calibrée qui permette de départager suffisamment les grimpeurs tout en étant agréable à grimper et à regarder pour le public, c’est tout le challenge de l’ouverture, que l’on soit un homme ou une femme. »
Ouverture au féminin
Les femmes ouvreures sont assez formelles sur les spécificités de l’ouverture au féminin : « Je pense que tout dépend de notre personnalité, de notre vécu, constate Jessica Faure, ouvreure sur des compétitions nationales depuis 2006. Il y a quelques années, les styles d’ouverture pour les voies hommes et femmes étaient bien tranchés. Pour caricaturer, les voies des hommes offraient des mouvements physiques et dynamiques, tandis que celles des femmes s’orientaient dans un style plus rési avec des petites prises. Mais aujourd’hui, ces différences de style sont bien moins marquées. Les qualités d’une bonne ouvreure sont donc les mêmes que celles d’un bon ouvreur. Elles se définissent par la capacité à savoir travailler en équipe, être en bonne condition physique, avoir un niveau en escalade suffisant pour tester et caler les voies que l’on ouvre, connaître parfaitement le milieu et les spécificités de la compétition et savoir ouvrir des voies qui correspondent à ces spécificités. »
« Aujourd’hui, la femme ouvreure n’est pas du tout cantonnée à l’ouverture des voies féminines, et heureusement. Pour moi, il n’y a aucune différence dans les qualités d’ouverture. Une femme peut adorer ouvrir des voies à gros physique et un homme des voies très techniques, assure Florence Pinet. Je trouve que le milieu de l’ouverture est à l’image de celui de l’escalade : les femmes y sont parfaitement légitimes et elles sont généralement très bien accueillies. Si une femme possède le niveau et les compétences d’être une bonne ouvreure, elle se fera sa place sans problème. Néanmoins, il faut savoir que sur une Coupe de France, il est préférable d’avoir connu le niveau 8a dans sa vie de grimpeuse pour être capable de l’évaluer. »
Un travail de force tout en finesse
« La semaine d’ouverture avant une compétition est, je l’avoue, assez fatigante physiquement et mentalement. Entre les heures passées avec une visseuse à la main, les essais et le stress de finir dans les temps avec des voies qui fonctionnent, le travail peut sembler ingrat. Mais quoi de plus plaisant que de voir que nos voies assurent le spectacle et que les grimpeurs prennent du plaisir à grimper dedans ? Pour ma part, l’ouverture de compétitions est vraiment une des parties de mon travail qui m’apporte le plus de plaisir et de satisfaction », confie Jessica Faure.
« Moi aussi je prends aujourd’hui beaucoup de plaisir à l’ouverture, assure Hélène Janicot. Le métier d’ouvreure fait partie de ma reconversion. Une partie seulement, car je ne pense pas que je puisse ouvrir au plus haut niveau jusqu’à l’âge de la retraite. Mais pour une ancienne compétitrice comme moi, qui a engrangé pendant des années de considérables volumes de grimpe, la contrainte physique reste tout à fait gérable. »
« Et puis il ne faut pas oublier que si l’ouverture de voie ressemble un peu à de la manutention, en revanche, quelques prises suffisent à monter des blocs de qualité, enchérit Florence Pinet. D'autant que dans une équipe d’ouverture, nous nous préservons les uns les autres. Nous portons les caisses de prises ensemble, travaillons vraiment conjointement. C’est vrai qu’une semaine d’ouverture est assez fatigante, mais pour moi qui suis également auxiliaire de puériculture, les journées d’allers-retours en crèche, avec des enfants dans les bras, sont tout autant épuisantes. »
Les particularités de l’ouverture pensée par les femmes
Tous les ouvreurs vous le diront : la mixité dans une équipe d’ouverture reste un atout majeur.
« J’observe aujourd’hui en compétition, que les grimpeuses parviennent à mettre leurs qualités physiques, techniques et physiologiques au service de leur escalade, affirme Jacky Godoffe. Elles sont capables de prouesses inaccessibles pour les hommes. De la même manière, je sais que les meilleures ouvreures peuvent désormais créer des voies et des blocs masculins qui poseront des problèmes aux grimpeurs. De fait, sur le circuit international, nous nous rendons compte aujourd’hui, que les hommes ont beaucoup de mal à ouvrir correctement des voies féminines, à s’adapter aux caractéristiques physiologiques des femmes pour les valoriser, les mettre en difficulté et les faire progresser. C’est en cela que repose l’enjeu du développement des ouvreures. »
Prêtes ?
Pour se lancer dans l’ouverture, il suffit de s’y mettre. « Nous commençons toutes un peu de la même manière : en ouvrant dans notre club, pour renouveler les voies et les blocs, jusqu’au jour où l’occasion d’ouvrir pour une compétition se présente, témoigne Jessica Faure. Il ne reste plus qu’à se diriger vers les formations fédérales d’ouvreur régional, puis national. » S’il existe aujourd’hui des facilités pour les athlètes de haut niveau, l’ouverture s’adresse à toutes les femmes curieuses et créatives.
Crédits photos : FFME, FFME/RemiFabregue, FFME/NicolasGauduchon, Eddie Fowke, Sheila Farrell McCarron, Katja Vidmar.