Entraînements doublés, disciplines triplées, rendez-vous internationaux multipliés : en cette année préolympique, les plannings des meilleurs grimpeurs du monde se sont considérablement étoffés. Les athlètes optimisent leur préparation et leur début de saison pour tenter d’accéder au graal : figurer parmi les 20 grimpeurs sélectionnés aux Jeux olympiques de Tokyo 2020, les premiers à accueillir une épreuve d’escalade.
Voiron, 17 juin 2109, tempête de grêle sur le site de TSF. Pourtant, sur le pôle France escalade, les grimpeurs y sont insensibles. Julia Chanourdie, Fanny Gibert, Anouck Jaubert, Romain Desgranges et leurs coéquipiers de l’équipe de France de difficulté n’ont que faire des intempéries et du froid. A trois semaines de la première étape de Coupe du monde de difficulté, à Villars, l’objectif pour chacun est de retrouver et d’affiner ses repères dans cette discipline, après une saison de Coupe du monde de bloc et la moitié d’une saison de Coupe du monde de vitesse dans les bras.
La perspective olympique de Tokyo 2020, où l’escalade fera sa première apparition, a chamboulé les plannings des meilleurs athlètes français, jusque-là plutôt spécialisés dans l’une des trois disciplines de l’escalade. Une seule épreuve sera en effet présentée aux JO : face aux contraintes imposées par le CIO et pour satisfaire au mieux toute la communauté de l’escalade, la fédération internationale a choisi une épreuve qui regroupe les trois disciplines sous la forme d’un combiné.
Certains athlètes, comme Anouck Jaubert ou Mickael Mawem, tous deux vainqueurs du Championnat de France du combiné, s’y préparent depuis l’année dernière. « Deux ans, ce n’est pas de trop, confie Anouck Jaubert, numéro une mondiale en vitesse, surtout pour moi, qui ne pratiquais plus que de la vitesse depuis quelques années. Il a fallu reprendre l’entraînement dans les deux autres disciplines, c’était comme repartir à zéro ! ».
Depuis fin 2018, Anouck Jaubert commence à ressentir les progrès en bloc et en difficulté, en témoigne sa victoire au Championnat de France du combiné. Néanmoins, la jeune femme reste lucide quant à ses chances de qualifications.
D’autres athlètes, comme Manon Hily, Fanny Gibert ou Romain Desgranges ont décidé en fin de saison dernière de tenter l’aventure olympique. Pour Manon Hily, 4e du classement général de la Coupe du monde de difficulté 2018, il a fallu mettre les bouchées double. Cette jeune infirmière a obtenu un contrat avec son hôpital pour bénéficier d’un allègement de 20% de son temps de travail afin d’optimiser son entraînement.
« J’ai mon lundi, ce qui me permet de bénéficier de week-end prolongés pour aller m’entraîner à Paris et à Voiron principalement, confie-t-elle. Je tente tant bien que mal d’adapter ce nouveau planning d’entraînement à ma vie quotidienne. Mais depuis que j’ai pris cette décision de jouer la sélection aux JO, j’ai vraiment multiplié mon volume d’entraînement. C’est très intense et difficile à gérer, surtout qu’il faut accepter de lâcher un peu sa discipline de prédilection, tout en gardant son niveau. Un équilibre subtil qui me prive de mes séances hebdomadaires en falaise, c’est certainement le plus dur pour moi. Il faut faire des choix, mais le challenge olympique vaut le coup ! »
« Je ne suis pas dupe, expliquait Romain Desgranges en début d’année. Le chantier est colossal. Pour me qualifier aux JO, je dois être le plus fort en difficulté et tâcher de grappiller des points dans les autres disciplines. En vitesse, je suis vraiment un débutant. C’est vrai que je progresse vite, que ça me donne la hargne, mais je suis encore loin du top niveau. »
Aujourd’hui, onze athlètes sont soutenus par la fédération pour leur engagement dans la préparation olympique : quatre femmes (Julia Chanourdie, Fanny Gibert, Manon Hily et Anouck Jaubert) et sept hommes (Léo Avezou, Sam Avezou, Manu Cornu, Romain Desgranges, Alban Levier, Bassa Mawem et Mickael Mawem).
Le pôle France de Voiron est le lieu de prédilection pour un entraînement optimisé. « Nous avons quelques athlètes qui s’entrainent ici tous les jours, comme Anouck Jaubert et Mickael Mawem. Les autres viennent tous ici très régulièrement, à l’occasion de stages et de périodes que nous avons définis ensemble, explique Sylvain Chapelle. Il faut dire que le pôle France de Voiron dispose des trois agrès : un mur de difficulté de 20 m de haut, une salle de bloc très récente et le mur de vitesse officiel ainsi que toutes ses partitions dans le gymnase attenant. Cette proximité de tous les supports nous permet de proposer un entraînement optimisé aux athlètes. Outre le fait de s’entraîner dans chaque discipline, il faut également s’habituer aux transitions de ce format : savoir passer rapidement de la vitesse au bloc, puis du bloc à la difficulté. C’est un détail qui aura vraiment son importance le jour J. Un détail qui s’optimise et se prépare. »
Dans ce groupe de préparation olympique, deux jeunes athlètes : les deux frères Léo et Sam Avezou misent depuis plusieurs années sur la polyvalence de l’escalade. « Je pratique les trois disciplines depuis un moment déjà, avec une fréquence hebdomadaire variable entre 10h et 25h d’entraînement. Cette année est importante, assure Léo Avezou, il fallait bien s’y préparer pour tenir le coup d’enchaîner les saisons de Coupe du monde de bloc, de difficulté et de vitesse. Tout le monde veut être présent à Tokyo, mais pour y être, il faudra être en forme avant. »
Pour Sam Avezou, junior 1ere année, c’est avant tout de l’expérience engrangée, comme celle prise sur les JOJ de Buenos Aires, l’été dernier.
Trois opportunités sont offertes aux athlètes pour se qualifier aux JO de Tokyo 2020. La première, c’est de faire partie des sept meilleurs athlètes de l’épreuve du combiné des Championnats du monde 2019 qui se tiendront du 11 au 21 août 2019 à Hachioji (JPN). « Pour ma part, je me suis préparé pour prendre ma place à Tokyo, directement aux Championnats du monde, assure Mickael Mawem. Ma préparation est calée pour y arriver reposé et au meilleur de ma forme. »
« Mon objectif, c’est d’être le meilleur du monde, poursuit-il, d’être médaillé d’or aux JO. Je ne m’entraîne pas pour être le champion d’un sélectif. Ici, à Voiron, tout est en place pour se préparer au mieux à cet objectif. Les structures certes, mais également l’ouverture de qualité, la salle de musculation, les bains froids et surtout un encadrement aux petits oignons. Pour ma part, c’est en difficulté où j’ai le plus de lacunes. Mes atouts de grimpeur sont l’explosivité et la rapidité. Mener une telle mutation dans son entraînement pour ce genre d’objectif sportif, c’est un magnifique challenge. »
La deuxième opportunité se tiendra au Tournoi de qualification olympique (du 28 novembre au 1er décembre prochain à Toulouse-Tournefeuille), où les six finalistes pourront également décrocher leur ticket pour les JO. Organisé à l’image des Jeux, le tournoi ne sera ouvert qu’aux vingt meilleurs athlètes du classement général combiné de la Coupe du monde 2019. Explications :
« De mon côté, je ne mise pas ma possible qualification aux JO sur le Championnat du monde. Ce serait un coup de poker compte tenu de mon profil de spécialiste de vitesse, analyse Bassa Mawem. Cela dit, je me donne toujours à fond, sur chaque compétition, c’est vraiment mon leitmotiv. Je vais donc me rendre aux Championnats du monde pour donner le meilleur. Mais aujourd’hui, j’ai vraiment le TQO en ligne de mire. J’ai déjà supprimé deux facteurs de cette multiplication en prenant à deux reprises, la 1ere place en vitesse. Il me reste à me classer du mieux possible en bloc et en difficulté et surtout à continuer à être le meilleur en vitesse pour éviter que les concurrents du même profil que moi ne gagnent des places. Mais dans tous les cas, quelle que soit la stratégie choisie, s’il n’y a pas la performance, ça ne sert à rien ! »
Enfin, le Championnat d’Europe au printemps 2020 offre une dernière place qualificative pour ces JO. Aujourd’hui, après trois étapes de Coupe du monde de difficulté, le classement combiné s’affine. On trouve déjà Manu Cornu en 9e position chez les hommes et Julia Chanourdie 7e chez les femmes.
« Je me sens bien, en témoigne ce classement, confie la jeune femme, radieuse. La saison de bloc, qui n’est pas ma discipline de prédilection s’est particulièrement bien passée et maintenant que la saison de difficulté est lancée, je suis dans mon élément. C’est de bon augure pour l’objectif du combiné olympique dans lequel je suis très investie. J’attends avec impatience les Championnats du monde en août pour tenter ma sélection d’office aux JO. Puis, dans tous les cas, je compte bien faire toute la saison de Coupe du monde de difficulté qui suivra. »
Fanny Gibert, également bien classée avec ses deux podiums en Coupe du monde de bloc, a fait l’impasse sur l’épreuve de Chamonix. « La saison de bloc a été intense puis j’ai immédiatement repris la difficulté avant la première étape à Villars (SUI). Avec Chamonix, ça faisait trop. Il ne reste que trois semaines avant les Championnats du monde, mon objectif prioritaire. Je fonctionne beaucoup étape par étape et c’est difficile pour moi de me projeter dans plusieurs objectifs à la fois. J’ai hâte d’être aux Championnats du monde. »
A ce jour, ils sont six Français à entrer dans les 20 meilleurs du classement combiné de la Coupe du monde. Mais l’objectif prioritaire pour la plupart d’entre eux se tiendra dans moins de trois semaines à Hachioji (JPN), où 679 grimpeurs issus de 39 pays sont attendus pour les Championnats du monde 2019, première épreuve qualificative pour les Jeux olympiques.
Crédits photos : Christophe Angot/FFME, Rémi Fabregue/FFME, Eddie Fowke/IFSC, Sytse van Slooten/IFSC, René Oberkirch/IFSC.