Trois journées pour passer un cap en falaise. Les 6, 7 et 8 mai derniers, soixante jeunes grimpeurs d’élite se sont retrouvés sur le rocher d’une falaise d’exception, à Saint–Léger–du–Ventoux. Objectif ? Sensibiliser ces compétiteurs d’exception à ce qui fait l’essence de notre pratique : l’escalade en milieu naturel. Grande Voix s’est rendu au pied des voies. Ambiance.
Grimpeur expérimenté. Le 6e degré est une formalité depuis longtemps. Le 7e degré est ton terrain de jeux. C’est d’ailleurs pour ça que tu as décidé de te rendre à Saint–Léger–du–Ventoux ce week–end–là. Là–bas, sur ces falaises au rocher dessiné à la plume d’oie, le ticket d’entrée est à 7a. Grimper dans les tracés mythiques de Saint–Léger–du–Ventoux se mérite.
Alors, quelle ne fut pas ta surprise en découvrant au pied de voies du 8e degré, une véritable petite colonie de vacances. Des dizaines de jeunes, des enfants même pour certains. Ça chahute, ça rigole.
Et quelle ne fut pas ta stupeur, lorsque tu t’aperçus que ces petites têtes blondes ne se contentaient pas de regarder les grands grimper. Qu’ils mettaient eux–aussi le baudrier, pour aller taper des runs dans des 8a+. Dur. Ton amour propre en a pris un coup. Quand même 8a+, quelle arrogance.
Et pourtant… Quelques minutes plus tard, cette petite Réunionnaise, de 11 ans à peine, randonnait ce 8a+. Ton monde s’écroulait. Comment est–ce possible ? Tu as bien essayé de te réfugier derrière le rempart du rapport poids–puissance, derrière le masque des acides lactiques. Il fallait essayer de garder de la contenance.
« C’est vrai que cela joue en leur faveur. Leur morphologie est un atout, et les acides lactiques ne les impactent pas de la même manière qu’un grimpeur adulte. Mais cela n’enlève rien à leur performance sur le rocher. Ces jeunes sont très forts tout simplement », assure l’entraîneur national Daniel Du Lac, pas surpris le moins du monde par les performances de ses Bleuets.
« Il faut bien l’avouer : ça fait bizarre quand on n’a pas l’habitude. Quand on entend certains de ces enfants, d’une dizaine d’années à peine, parler lecture de voie devant un 8b. C’est un peu irréel. Mais une fois sur le rocher, cela prend vite de la consistance… », témoigne le conseiller technique national de la FFME et organisateur de l’événement, Gaël Bouquet des Chaux.
Ce n’était donc pas n’importe quelle gamine de 11 ans sur le rocher, les 6, 7 et 8 mai derniers. Ce n‘était pas un centre aéré en visite à Saint–Léger–du–Ventoux. Mais tout simplement les meilleurs jeunes grimpeurs du pays, dont 12 des 19 grimpeurs sélectionnés en équipe de France jeunes cette année. Ils étaient tous réunis sur un des spots les plus mythiques du pays, pour passer un cap en falaise.
Qu’est–ce que donc ce concept singulier Gaël Bouquet des Chaux ? « C’est en fait quelque chose qui a déjà existé à la FFME, il y a près de 20 ans. Ces rassemblements, qui emmenaient les meilleurs jeunes français en falaise, étaient conduits par les entraîneurs nationaux de l’époque, Pierre–Henri Paillasson (aujourd’hui directeur technique national de la FFME) et Jacky Godoffe (maintenant conseiller technique national). C’est d’ailleurs Pierre–Henri Paillasson lui–même, qui a souhaité les remettre au goût du jour », explique le conseiller technique national.
« Ce rassemblement a une symbolique très forte : il représente à mes yeux ce qu’est notre sport. L’escalade se pratique partout, en compétition, sur les falaises, en montagne. Il n’y a pas à segmenter entre différentes disciplines. Voilà le message que l’on veut inculquer à ces jeunes champions : vos ainés grimpaient aussi bien sur les murs, qu’en extérieur. C’est ça l’escalade », explique Pierre-Henri Paillasson.
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« Le concept est en réalité une évidence. Il s’agit de sensibiliser ces jeunes compétiteurs d’exception à ce qui fait l’essence de notre pratique : l’escalade en milieu naturel ».
Gaël Bouquet des Chaux
Conseiller technique national FFME
« Grimper en falaise est très intéressant pour la préparation des jeunes grimpeurs. En termes de volume, d’endurance, c’est un vrai plus de s’entraîner dehors. L’escalade sur la résine et sur le rocher sont largement complémentaires : l’une se nourrit de l’autre et inversement. Et puis il y a une question de transmission. Les falaises forment le patrimoine français de l’escalade. Il est important, que les futurs champions tricolores continuent de se l’approprier », explique Daniel Du Lac. Mais ce n’est pas tout.
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« En compétition, c’est ce que j’appelle la French Touch. Nous avons la chance de pouvoir pratiquer toute l’année sur des sites naturels d’exception. Et ça se ressent sur la résine. Le touché, l’adaptabilité, les sensations. Ce sont ces qualités qui ont fait les plus grands champions français. Il faut absolument que cette richesse dans la pratique soit transmise à la jeune génération. »
Daniel Du Lac
Entraîneur de l’équipe de France jeunes
Et quitte à avoir le futur de l’escalade française au pied de la falaise, autant faire les choses bien.
Les organisateurs. La FFME a mis les grands moyens. Sa représentation nationale bien–sûr : huit conseillers techniques nationaux ont été dépêchés sur place. Deux d’entre eux, Paul Dewilde et François Legrand (à l'image ci-dessous), y ont même posé leur camp de base pour la semaine : ils ont eu la lourde tâche de sélectionner une vingtaine de voies – de 7a à 8c – pour assurer aux jeunes une pratique parfaitement adaptée.
Ils ont été bien épaulés dans leur action : fort de sa connaissance des lieux, Pierre Duret, le président du comité territorial du Vaucluse, les a accompagnés tout au long de ce processus. Le CT du Vaucluse a rééquipé les voies sélectionnées, afin de garantir la sécurité des jeunes compétiteurs.
Et ils n’ont pas été seuls à travailler dur pour que cet événement majeur du calendrier FFME soit une réussite. L’association Greenspits – qui œuvre au quotidien pour préserver notre patrimoine historique que sont les sites naturels d’escalade – a largement contribué à la mise sur pied du rassemblement. Mais au fait, Carole Palmier, quelle était la mission de Greenspits à Saint–Léger–du–Ventoux ?
Les coachs. Certaines des plus grandes légendes de l’escalade française avaient fait le déplacement pour conseiller et encadrer les jeunes au pied des voies. Au nombre d’entre–elles, le plus titré des grimpeurs français, François Legrand, mais aussi les incontournables Stéphanie Bodet et Arnaud Petit, le médaillé des Championnats du monde handi–escalade 2016 Romain Pagnoux et la Réunionnaise Caroline Ciavaldini.
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« Quand je vois cette nouvelle génération de grimpeurs, qui arrive plus haut, qui grimpe plus dur, et qui fait tout cela bien plus tôt que nous, j'ai envie d'aider. De participer à leur progression, de leur transmettre des petites ficelles, qui pourraient faire sens à leurs yeux, et leur permettre d’avancer plus rapidement. »
Caroline Ciavaldini,
Grimpeuse professionnelle
Après sa carrière de compétitrice, Caroline Ciavaldini a réussi à vivre de sa passion de la montagne et de l’escalade en falaises. Et elle l’assure, cette chance, elle la doit notamment à une chose : au plaisir de grimper. « Ce que je souhaite transmettre à la nouvelle génération de grimpeurs ? J'ai envie qu'ils se concentrent sur le plaisir, qu'ils arrivent à considérer le stress d’être sur la paroi aussi comme un élément positif », explique la multiple médaillée en Coupe du monde d’escalade.
Les jeunes. Ils étaient plus de 60 à avoir fait le déplacement pour l’occasion, tous, a minima, à l’aise dans le 7e degré, à l’instar des petites têtes blondes du Team KYou. Certains sont même venus depuis l’autre bout de la planète : la sélection des poussins/benjamins de la Réunion – de passage en métropole – avait fait un détour par le Vaucluse.
Avec un tableau de chasse plutôt réjouissant pour ces trois journées d’escalade : pas moins de neuf voies dans le 8a, deux 8b+ et même deux 8c ont été cochés par les jeunes grimpeurs !
« L’ambiance était vraiment celle du rassemblement. Il y avait bien la cerise de la voie dure à cocher. Et des progrès ont été réalisés par certains jeunes, c’est indéniable. Mais c’était un week–end où planait une toute autre atmosphère qu’en compétition. Ils ont pu passer de longs moments avec ces grands noms de l’histoire de l’escalade. Les soirées autour de conférences, de films, étaient très conviviales. C’était avant tout une belle fête de l’escalade », conclut Gaël Bouquet des Chaux, le regard déjà tourné vers une 2e édition en 2018…
Crédits photos : FFME