Six mois et demi de préparation et cinq mois de compétitions, voilà ce que représente une année classique pour un athlète de haut niveau en ski-alpinisme. Un quotidien intense, parfaitement organisé, avec lequel il est même souvent difficile de rompre.
C’est au printemps, quand les marmottes commencent à pointer le bout de leur nez, que les athlètes de ski-alpinisme, eux, déchaussent enfin leurs skis. Le temps du repos arrive, après cinq long mois de compétitions. Pourtant, les jours avant la reprise sont comptés, et surtout par les athlètes eux-mêmes, déjà impatients de s’y remettre !
Repos, Vélo, Rando !
En général, la saison de ski-alpinisme se termine début avril, avec la dernière étape de la Coupe du monde. Si certains jouent les prolongations en s’offrant une dernière Grande Course (Patrouille des glaciers ou Mezzalama) fin avril, d’autres en revanche s’arrêtent même plus tôt pour pouvoir enchaîner avec la saison de trail. Pour Laetitia Roux et Lorna Bonnel, cette période de repos annuelle n’excède jamais une quinzaine de jours.
Bref, chaque athlète est unique, et par conséquent, sa saison, et donc sa préparation en amont le sont également. Des talents d’adaptation doivent donc faire partie du bagage de l’entraîneur national, en plus de ses compétences dans la préparation physique et mentale, la gestion de groupe et l’organisation des déplacements. Thierry Galindo, entraîneur de l’équipe de France de ski-alpinisme depuis ce début de saison, semble bien répondre à tous ces critères.
Après avoir encadré l’équipe de France jeune durant plusieurs années, il a pris en main l’équipe de France sénior au printemps 2017, à l’occasion de la réunion de fin de saison. Ce regroupement rituel du mois de mai permet d’établir le programme de préparation pour l’année suivante. En particulier pour les stages équipes de France, qui jalonnent, à raison d’un regroupement par mois, les saisons d’été et d’automne.
« Le mois de mai devrait être une période de transition et de coupure pour les athlètes, explique Thierry Galindo. Certains partent en vacances, ou profitent de leur famille. Les étudiants passent leurs examens, et d’autres recommencent déjà à courir. Dans tous les cas, il est difficile pour ces passionnés de sport de s’arrêter totalement. Sans s’infliger les contraintes d’un entraînement, la plupart d’entre eux sautent sur leur vélo au moindre rayon de soleil. »
Début juin, l’entraînement reprend enfin !
S’arrêter, pour certains, c’est presqu’une punition. Même si le corps en a vraiment besoin. Leur vie de sportif amateur est rythmée par l’agenda sportif : la reprise de l’entraînement est comme une nouvelle année qui commence.
« Le plus difficile dans cette reprise, confie Xavier Gachet, c’est de laisser les occupations du quotidien auxquelles j’ai repris goût le temps de cette pause printanière. Heureusement, les journées sont longues en juin, alors, je profite pleinement de cette transition : reprendre la préparation, tout en continuant le bricolage, le jardinage, et le reste !»
Une reprise qui se fait évidemment en douceur. « Les premiers stages équipe de France sont centrés sur la cohésion du groupe, avec des activités variées et ludiques, témoigne Thierry Galindo, et une reprise du travail physique en endurance très progressive. »
Vivre ensemble pour progresser.
Cette année, sur les stages équipe de France, Thierry Galindo a regroupé les seniors et les espoirs, avec un objectif de partage d’expériences. « Pour que les plus jeunes profitent de l’expertise des meilleurs et soient tirés vers le haut. Mais également pour nourrir la cohésion et entretenir une forme d’émulation positive dans l’équipe, ajoute Thierry Galindo. Les espoirs sont ensemble depuis qu’ils sont cadets et juniors, et forment un groupe très soudé dont l’enthousiasme à s’entraîner ensemble est exemplaire. »
Le premier stage s’est ainsi déroulé début juillet, et les athlètes ont participé à cinq stages d’une semaine pour entrer dans le vif du sujet niveau sportif, mais aussi échanger, apprendre et progresser.
Aérobie, VO2max et spécifique, un ballet bien orchestré.
Dès leur reprise, les skieurs s’attellent au travail aérobie. Une base d’endurance, pour tenir toute la saison, mais également pour leur permettre de bien récupérer entre les entraînements et les compétitions. « Car il peut leur arriver de devoir encaisser une semaine de compétitions avec des courses qui s’enchaînent tous les jours ou tous les deux jours, précise Thierry Galindo. Ce travail foncier est précieux pour tenir le coup. » Généralement programmé en début de préparation, ce travail de fond débute en juin. Difficile de monter sur les skis à cette période. Alors, quelles activités choisir ?
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« Pour la plupart des athlètes, ce travail préliminaire se fait à vélo ou en courant. »
Thierry Galindo,
Entraîneur National du ski-alpinisme
Puis, à partir du mois de juillet, les athlètes peuvent commencer un travail de développement de la VO2max, avec des séances de travail fractionné à haute intensité. Cette méthode d’entraînement permet l'amélioration significative des performances. Il s’agit de séances décomposées en plusieurs cycles d'exercices comprenant une phase de travail suivie d'une phase de récupération. « Ce travail indispensable aide les athlètes à retrouver leur niveau et le maintenir tout le reste de la préparation », poursuit Thierry Galindo.
Cela dit, ces bourreaux de l’entraînement ne se restreignent pas seulement au vélo ou à la course.
En aout, le travail spécifique commence. C’est la reprise du ski-roue, et dès qu’il est possible de rechausser les skis, les athlètes reconnectent avec leur premier amour sur la neige ! Cette année, il leur a fallu attendre le stage à Tignes, en octobre.
Les skis enfin aux pieds, les skieurs se mettent dans les rails des premières courses, cherchant à se rapprocher des intensités de la compétition, pour arriver au top lors de leurs premières échéances. Cette année, la saison a commencé fin novembre, avec le sélectif pour la première étape de la Coupe du monde 2018.
Ce fut notamment le cas au mois de novembre à Cervinia, station alpine du Val d’Aoste en Italie ayant la particularité, comme Tignes en France, de proposer un domaine skiable très haut en altitude.
A Cervinia, au mois de novembre, commence le ballet des « collant-pipettes ». Les équipes nationales de ski-alpinisme des plus grandes nations européennes peinent à occuper le terrain d’une station encore désertée par les touristes. Ici, tout le monde à l’habitude de voir ces drôles de skieurs, passer plus de temps à remonter les pistes qu’à les descendre. Il faut dire que le lieu se prête parfaitement à la préparation des meilleurs skieurs-alpinistes du monde. Les pistes y sont préparées avec amour par les pisteurs locaux, professionnels de la glisse portant un regard bienveillant envers ces utilisateurs d’un drôle de genre.
Pour l’équipe de France, la journée est rythmée par l’agenda sportif. Après un petit déjeuner, plus copieux pour les uns que pour les autres, la première séance de la journée commence. Une première séance souvent libre, où les athlètes, en petits groupes, reprennent des sensations sur les skis et abattent les premiers milliers de mètres de dénivelé positif. 2000, 3000 voire 4000 par séance pour certains : on est loin du randonneur du dimanche.
L’après-midi, après le déjeuner et une courte sieste, c’est l’heure de la séance spécifique. Certains partent pour une séance intense, comme Xavier Gachet et William Bon Mardion ce jour-là, les deux avions de chasse de l’équipe de France, lancés dans une fuite en avant irrépressible et dont les visages marqués donnent un aperçu la violence de l’effort. D’autres rejoignent les entraîneurs nationaux pour une séance d’intervalles, non moins exigeante et qui donnent à certains une idée du travail qu’il reste encore à accomplir pour aller taquiner le fleuron de la discipline sur le circuit international.
De retour à l’hôtel, après quelques mots échangés avec l’équipe suisse, qui partageait ce jour-là les sillons des dameuses avec les Français, c’est l’heure de la récupération. Le spa de l’hôtel est mis à contribution, en moment de détente et de camaraderie au sein de l’équipe. Puis le moins quotidien dans la salle de réunion permet à chacun de débriefer de la journée et à tous de faire le point sur la saison à venir, des objectifs aux détails de la vie d’un sportif de haut niveau.
« Qu’est-ce que j’ai le droit de porter sur un podium ? Comment est-ce que je peux mettre en avant mes sponsors personnels ? » Ces athlètes ont beau, pour la grande majorité, ne pas vivre de leur discipline, ils n’observent pas moins une rigueur digne du sport professionnel.
Après trois jours, les cuisses brûlent. A demi-mot, les jeunes discutent leur volume de dénivelé positif de ce début de saison. Des chiffres qu’ils ne crient pas sur tous les toits. Mais qui donnent le tournis. Et la préparation est loin d’être finie.
La vie en dehors des stages.
Les entraînements hors stage équipe de France constitue le plus gros du travail. Pour cette phase de la préparation, chacun est libre de choisir son coach personnel. Thierry Galindo assure le suivi d’une partie des athlètes de l’équipe de France. « Je leur envoie leur programme et je les ai régulièrement au téléphone ou par mail. Certains skieurs travaillaient déjà avec un préparateur physique et poursuivent ce fonctionnement-là. Dans ce cas, je supervise un peu leur préparation, en lien avec leur préparateur. L’objectif étant que tout le monde arrive en forme en début de saison ! »
Quelle est la charge hebdomadaire moyenne d’entraînement pour ces skieurs de haut niveau ?
Un volume horaire que chacun doit adapter à ses contraintes personnelles. Pour William Bon Mardion, tout est parfaitement organisé : « Ma journée « type » commence à 4h30 à la coopérative laitière d’Arêches Beaufort, où je travaille jusqu’à 12h30. Puis, je prends le temps d’une petite sieste et je file m'entraîner jusqu’à l’heure de la sortie des classes, où je retrouve mes deux enfants. Compte tenu de cette organisation quotidienne particulière, je m’entraîne seul la plupart du temps.
Cela dit, je bénéficie d’un contrat spécial avec mon employeur, qui me libère du temps sur les saisons d’automne et hiver. J’en profite alors pour faire des sorties avec Xavier Gachet, qui habite également à Arêches. Ça peut paraître un sacerdoce de jongler ainsi entre travail, vie de famille et entraînement, mais finalement, c'est facile quand on aime ce qu'on fait ! Ma compagne et toute ma famille sont des soutiens au quotidien, et nous nous rattrapons en fin de saison pour passer plus de temps ensemble. »
Puis il arrive parfois qu’une blessure chamboule toute cette préparation parfaitement planifiée. Cet été, Axelle Mollaret s’est fracturée le bassin lors d’un accident de vélo. « En quelques secondes je suis passée du stade où je suis en très bonne forme à celui où je ne peux même plus marcher. Il ne reste alors que la patience, et l’acceptation. Une fracture demande un délai de consolidation incompressible, et je suis bien placée pour le savoir du fait de mon métier de masseur-kinésithérapeute. Il faut alors bien s’entourer : kiné, médecins, nutritionnistes et reprendre au bon moment, tout en douceur.
A vouloir brûler les étapes, on finit souvent par perdre du temps, et on risque une nouvelle blessure. Il m’a fallu trois mois avant de reprendre le ski. J'étais donc très en retard dans ma préparation, mais j’ai pris le temps qu’il fallait pour mon corps. Il est certain que je n'ai pas rattrapé les heures manquées de cet été, mais je vais rattraper ce temps de manière progressive. Finalement, quelques mois sans sport ce n'est pas un drame et si je passe à côté d'un de mes objectifs, je pourrai toujours m'en fixer un nouveau ! »
A noter qu'Axelle Mollaret remportait sa première épreuve de course individuelle sur l'étape de Coupe du monde de Puy-Saint-Vincent, le 8 février dernier, devant Laetitia Roux.
Raclette, fondue et saucissons.
Ce n’est pas parce que l’on ski tous les jours qu’il est permis de se jeter sur tout ce qui nourrit l’imaginaire collectif en matière de plats montagnards. Qui dit athlète de haut niveau, implique une diététique « aux petits oignons ».
« Les athlètes en ski-alpinisme sont tous bien au fait de la nutrition, chez les séniors principalement, assure Thierry Galindo. Ce qui ne m’empêche pas de leur rappeler régulièrement le danger que représentent les excès, dans tous les sens du terme : la sous-alimentation peut être aussi délétère que la suralimentation sur les résultats sportifs et sur la santé en général. »
La France, parmi les meilleures nations.
La quatrième étape de la Coupe du monde de ski-alpinisme 2018 s’achève tout juste, et déjà l’équipe de France collectionne les podiums, chez les séniors comme chez les jeunes. Seize médailles dont huit d’or, avec les victoires de Laetitia Roux sur le sprint (Wanlong - CHN) et la course individuelle (Villars - SUI), d’Axelle Mollaret sur les trois courses verticales (Wanlong - CHN, Villars - SUI, Font Blanca - AND) et une course individuelle (Puy Saint Vincent - FRA), de Xavier Gachet (Villars - SUI) et de la prometteuse Justine Tonso en junior sur la course individuelle (Villars - SUI). Pas de doute, l’entraînement « à la française » porte ses fruits !
Crédits photos : Agence Kros Remi Fabregue, FFME