Avec ses 17 titres de championne du monde, ses neuf titres de championne d’Europe, sa soixantaine de victoires en Coupe du monde, ses huit globes de cristal et ses 27 titres de championne de France, Laetitia Roux affiche incontestablement le plus gros palmarès de l’histoire du ski-alpinisme. Sa carrière est une histoire d’amour, mais aussi de rigueur et de dévouement entre l’athlète et son sport. Laetitia Roux a choisi d’y mettre un terme : elle ne représentera plus la France en Coupe du monde. Rencontre avec une des athlètes les plus médaillées au monde et explications de cette décision mûrement réfléchie.
Qu’est-ce qui a motivé ta décision d’arrêter ta carrière internationale ?
Laetitia Roux : « J'ai la sensation de m'être accomplie sur le circuit de la Coupe du monde, d'avoir atteint mes objectifs sur les plans sportif et personnel. Je quitte cette compétition avec une sincère reconnaissance : j’y ai appris énormément et j’y ai pris beaucoup de plaisir. Durant toutes ces années, j'ai donné le meilleur de moi-même. J'ai même la sensation d'avoir apporté quelque chose à la discipline, une notion d’assiduité peut-être. Mais aujourd'hui, mon instinct me pousse à aller explorer d'autres horizons, de vivre de nouvelles expériences. J'ai beaucoup travaillé sur moi-même ces dernières années pour savoir ce que je voulais vraiment, pour éviter que mon ego, mon mental ou l'avis des autres n'aient un impact sur moi. Cette décision d’arrêter, je l'ai mûrement réfléchie. Je sens qu'elle me vient du cœur, car elle nourrit un sentiment de satisfaction et même d'excitation. Et puis, je n’arrête pas complètement le ski-alpinisme, j'ai bien l'intention de m'entraîner encore et de courir quelques courses. »
Tu as le plus gros palmarès de l’histoire de ton sport, quel est le secret de cette réussite ?
L. R. : « J'ai toujours aimé m'entraîner, aller plus loin dans la découverte de moi-même, repousser mes limites et trouver comment m'améliorer pour aller plus vite et plus loin. J’ai l’impression d’avoir toujours été animée par cet esprit de compétition. Consacrer ma vie à l'entraînement et à ma carrière sportive a toujours été mon rêve. J'aime vivre intensément, relever des challenges et me donner les moyens de les atteindre. Je crois que j’apprécie aussi cette vie de nomade qui accompagne les grandes carrières sportives, à la découverte de soi-même, des autres, de nouveaux pays et de sensations fortes. »
En combien d'années de compétition as-tu acquis tous ces titres ?
L. R. : « Il y a 13 ans, je participais à mes premiers Championnats du monde. C’était en 2006 à Cunéo (ITA). J’y ai remporté mon premier titre de championne du monde espoir en course verticale. Deux ans plus tard, en 2008, je gagnais ma première Pierra Menta avec Nathalie Etzensberger. J'avais tout juste vingt ans, elle en avait le double. Ce fut une expérience extraordinaire. L'année suivante, nous courrions avec Mireia Miro (ESP) notre première Pierra Menta ensemble. Une belle histoire débutait. A cette époque, nous avions l'ambition de créer une équipe soudée sur le long terme, à l'image des Italiennes Martinelli-Pedranzini, avec qui je remportais cette même année la Mezzalama. Mon duo avec Mireia Miro tient une part importante dans ma carrière et dans mon cœur : cela a été une motivation majeure pendant plusieurs années. »
Comment as-tu trouvé l'énergie de toujours viser plus haut, alors que tu étais déjà loin devant la concurrence pendant de nombreuses années ?
L. R. : « Au début, j'avais surtout envie de gagner. Tout simplement. Puis je me suis mis des objectifs avec des titres et des courses connues à remporter. J'avais une liste de courses à gagner sur l’année et je les cochais chacune au fur et à mesure des victoires. Puis, je me suis imposée d’autres objectifs : celui de remporter le classement général de la Coupe du monde sur une saison, puis de remporter toutes les Coupes du monde, puis de remporter toutes les courses (Coupes du monde, Championnats, Grandes Courses) sur une saison, puis sur plusieurs années. Je m’aperçois que j’ai toujours eu une course en ligne de mire. C'était un beau challenge, qui a nécessité de me remettre en question, sans cesse, et de trouver de nouveaux axes de progression sur les plans physique et psychique. De fait, même si les saisons pouvaient se ressembler, elles furent toutes très différentes à mes yeux. »
Le challenge et la motivation suffisent-ils à la performance ?
L. R. : « Pas vraiment : à haut niveau, le challenge de la performance n'est finalement que la partie visible de l’iceberg. Pour être au top sportivement, s'entraîner seule toute l'année et consacrer sa vie à sa carrière sportive, il est impératif d’être bien centré sur ses objectifs et d'y adhérer complètement. Un équilibre subtil pour toujours garder l'envie, quels que soient l'heure, le lieu, la météo ou encore la saison. Au fil des années, j'ai appris à prendre du recul, à être plus à l'écoute de mes émotions, à être plus réceptive aux personnes qui me suivent. J'ai appris à partager ces moments de compétition. Un défi qui n’a pas toujours été facile, bien que particulièrement enrichissant. A l’heure du bilan, ces saisons de compétitions furent un magnifique apprentissage de vie. »
Comment as-tu réussi à rester quasiment intouchable pendant plus de dix ans ?
L. R. : « Je pense que j'ai vraiment dévoué ces dernières douze années de ma vie à cette carrière sportive, 24h/24, toute l’année. J'ai dû mettre complètement de côté ma vie personnelle et familiale. Ce n’est pas un regret, mais un constat. J'aime vivre intensément et aller au bout des choses. Perfectionnisme et détermination sont les qualités qui m’ont guidée, et m’ont parfois fait tomber dans l'excès. Peu importe par où je devais passer, me faire violence ou pas, ce qui m'animait ce n’était que mon objectif. »
Se préparer au plus haut niveau en ski-alpinisme, qu’est-ce que ça représente ?
L. R. : « La pratique sportive de haut niveau demande une rigueur quotidienne en termes d’alimentation, de sommeil, de récupération, de rythme de vie. Pas de place pour les soirées festives. C'est une vie de contraintes, que je n’ai pas vécu comme contraignante car j’aimais ça, sincèrement. En ski-alpinisme, l’entraînement se construit sur l'ensemble de l’année : sept mois et demi de préparation pour quatre mois intenses de compétition. Soit quelques 650 à 700 heures annuelles d’entraînement pour près de 200 000m de dénivelé positif. Ces dernières années, j’en faisais un peu moins pour compenser une capacité de récupération moins efficace qu’avant. »
Quelles sont, dans ton immense palmarès, les médailles qui ont le plus de valeur pour toi ?
L. R. : « Je me rappelle très bien de mon premier titre de championne du monde à Canillo en Andorre en 2010. Ce fut une belle bagarre avec Roberta Pedranzini (ITA). J'avais commencé la saison en surentraînement, ce qui m’avait contrainte de l’arrêter avant même de l'avoir commencée. Contrairement à moi, mon entraîneur ne croyait plus en ma capacité à revenir au plus haut niveau pour les Championnats du monde en février. Il a néanmoins accepté de m’accompagner. Je suis arrivée sur ces championnats sans avoir pu me comparer aux filles du circuit international. Mais ça l'a fait. Mes parents étaient là. Florent Troillet gagnait chez les hommes. Ce fut très fort en émotions. Mais de manière générale, ce sont mes courses par équipe qui ont le plus de valeur à mes yeux, notamment celles avec mon amie Mireia Miro. Nous avons su surmonter tous les états et situations possibles ensemble. Lors de ces différentes courses par équipe, chacune donne vraiment le meilleur d’elle-même pour l'équipe, c’est toujours très beau à vivre. »
Peux-tu nous confier une anecdote de compétition, un moment fort que tu n'oublieras pas de si tôt ?
L. R. : « J'en ai plein la tête des anecdotes que je n'oublierai jamais ! L’une d’entre-elles s’est tenue aux Championnats du monde de Pelvoux en 2013 lors de la course verticale. J'étais en tête, poursuivie par Mireia Miro. Ce fut une course très dure pour moi. J'étais à la limite de la rupture pendant toute la montée. Mireia était très en forme cette année-là. Je la sentais très proche. Ce fut une bataille avec moi-même pour ne rien lâcher, malgré les douleurs musculaires et l’épuisement. C'est une des rares courses où je me suis écroulée à l'arrivée. Lorsque Mireia est arrivée, elle rayonnait. Elle semblait autant heureuse pour moi que pour elle. Elle m'a félicitée et lorsque j'ai pu me relever, elle m'a pris dans ses bras et m'a soulevée du sol pour me féliciter pour cette victoire à domicile. Une énergie positive et un état d'esprit exemplaire. »
Parle-nous de tes projets à venir, l'arrêt d'un tel investissement doit laisser un grand vide ?
L. R. : « En réalité, l'arrêt d'une telle carrière offre surtout un avenir de possibilités, une incroyable ouverture sur de nouveaux horizons. Ces années de compétition m'ont ouvert beaucoup de portes, que je n’ai pas pu pousser, tant j’étais concentrée sur mes objectifs. Ce fut difficile pour moi qui aime toucher à tout. Aujourd’hui, j'ai un beau projet qui vise à partager mon expérience et mon expertise. J'ai le sentiment d'avoir appris énormément sur moi-même, sur mon sport, sur le haut niveau, sur le développement personnel de manière générale. J'ai désormais envie de transmettre ces notions et valeurs que j'ai apprises au fil du temps et qui m'ont permis d'avancer. Je suis persuadée que le ski-alpinisme mérite d'être connu d'avantage, qu’il a la possibilité d'être apprécié par tout le monde. »
Tu as également été à l’initiative du Women’s skimo project cet hiver. Peux-tu nous en dire plus ?
L. R. : « Oui, c’est le second projet dans lequel j'ai envie de m'investir d'avantage. Nous l'avons lancé avec Tanya Naville. Il consiste en une série TV qui vise à faire la promotion du sport au féminin et plus précisément du ski de randonnée au féminin. A travers les rencontres de femmes d'exception aux quatre coins du monde. Nous voulons inspirer et inviter plus de filles à pratiquer le ski et la montagne. »
Continueras-tu à courir quelques courses ?
L. R. : « Bien-sûr, je souhaite continuer à m'entraîner et à travailler avec mes partenaires. L'entraînement et le sport font partie de ma vie, de ma personnalité. J'aimerais découvrir d'autres courses de ski-alpinisme que je n'ai toujours pas eu l’occasion de courir, notamment des courses à l'étranger : Suède, Norvège, Etats-Unis…. J’ai également de belles ambitions côté VTT. Les formats marathon et courses à étapes m'attirent particulièrement. Le monde me tend les bras. C'est avec beaucoup de gratitude, d'enthousiasme et d'excitation que j'aborde cette nouvelle étape de ma vie. »
Crédits photos : FFME, FFME/RemiFabregue, ISMF, Ceola Carlo.