Les 6 femmes et les 6 hommes des promotions 2016-18 des équipes nationales d’alpinisme (ENA) de la FFME enchaînent les stages thématiques depuis un peu plus d’un an, pour parvenir d’ici la fin de l’année prochaine à remplir les objectifs que se sont fixés leurs encadrants : avoir toutes les clés en main pour aller vers la performance en alpinisme.
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« L’alpinisme n’est pas un sport de compétition. En montagne, il faut prendre le temps de progresser, il ne faut pas brûler les étapes. Au sein des ENA, nous ne poussons pas à la performance, comme nous le faisons dans d’autres sélections de haut-niveau encadrées par la FFME. »
Pierre-Henri Paillasson,
directeur technique national de la FFME
S’intéresser à l’ADN des équipes nationales d’alpinisme. C’est le préambule incontournable avant de parler de ces formations d’élite. Pourquoi ? Car pour que ces équipes aient une légitimité au sein de la FFME, il a fallu d’abord se positionner sur leur objectif. Posons donc la question au conseiller technique national Antoine Pêcher, responsable de leur encadrement. Pourquoi des sélections d’élite en alpinisme ?
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« Nous avons un seul objectif : donner aux meilleurs jeunes pratiquants français les clés vers l’alpinisme de haute performance. Autrement dit, en faire des alpinistes complets ayant une pratique raisonnée - et la plus sécurisée possible - de la montagne. »
Antoine Pêcher,
conseiller technique national en charge des équipes nationales d’alpinisme
Ce n’est que dans ce cadre que la FFME a choisi de poursuivre l’aventure des équipes nationales d’alpinisme. La riche histoire des ENA n’est pas uniquement composée de moments heureux et les équipes ont une partie de leur héritage qu’il a bien fallu assumer.
Comment évoquer ce sujet sans rappeler que la FFME n’oublie pas Marshal Musemeci, Arnaud Drouet et François Dupety, disparus tragiquement en 2003, suite à un accident provoqué par une chute de séracs dans le massif du Mont-Blanc, dans le cadre d’un stage des ENA.
Comment ne pas saluer la mémoire de Jeff Lemoine, ancien DTN de la FFME, créateur de l’ancêtre des ENA, le Groupe haute performance alpinisme, décédé dans un accident en montagne alors qu’il accompagnait la promotion 92/93.
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« Quoi qu’on fasse, nous ne ferons pas disparaître le risque. Il est inhérent à la pratique de l’alpinisme. Ce qui est très important, c’est d’apprendre à ces jeunes à pratiquer en conscience. Une fois que tu sais que le risque existe et quelle est sa nature, tu décides de le prendre ou non. »
Antoine Pêcher,
conseiller technique national en charge des équipes nationales d’alpinisme
Et est-ce que cela que s’applique aussi sur les courses organisées durant les stages des ENA ? « Bien entendu. Ceci dit, au sein des équipes nationales, chaque choix est discuté en amont entre les encadrants et les jeunes. Cela fait partie de la formation : la prise de décision est une question primordiale pour un alpiniste. Ces choix - qu’ils portent sur l’itinéraire, la prise d’informations, le matériel - sont pris collégialement, ce qui permet de limiter les surprises et les défections sur le terrain.
Des sélections d’élites ? Qui sont ces jeunes alpinistes qui composent les ENA ?
S’ils viennent tous d’horizons différents et arrivent au test d’entrée chamoniard avec des motivations diverses, une chose est sûre : ils font partie des meilleurs alpinistes de leur génération.
La sélection des ENA a eu lieu en janvier 2016 et comprenait un entretien de motivations, des discussions autour de la liste de courses des candidats, et différentes épreuves techniques et physiques : test cardio, séances en dry tooling, escalade en chaussons et en « grosses ».
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« Le niveau général ne cesse d’augmenter, notamment en escalade. Tous les membres de la promotion 2016 de l’ENAM évoluent dans le 8e degré. Deux d’entre eux ont même quelques croix dans le 8c. »
Antoine Pêcher,
conseiller technique national en charge des équipes nationales d’alpinisme
Pourquoi une telle excellence sur le rocher ? « Parce que l’escalade est une composante importante de l’alpinisme de haut niveau et qu’avoir un peu de marge technique dans une course difficile est un atout non-négligeable. Ça ne fait pas tout, mais c’est un vrai plus. » Une motivation sans faille, un physique à toute épreuve et des capacités techniques de compétiteur en escalade… Qu’est-ce qu’il manque encore aux membres de l’ENAM ?
« L’expérience. C’est la limite que l’on rencontre parfois chez ces jeunes. Ils ont un tel potentiel technique et physique, qu’ils peuvent s’attaquer aux itinéraires les plus durs. Mais ils n’ont pas encore le recul et l’expérience nécessaires pour s’engager dans ce type de projets. C’est là que nous intervenons. » Antoine Pêcher.
C’est aussi pour ça que la FFME a fait appel à Mathieu Maynadier. « Il est un des jeunes alpinistes les plus doués du moment. Il a déjà une grande maturité sur sa pratique et partage la philosophie des équipes nationales d’alpinisme. Pour les jeunes, c’est un atout supplémentaire. Avec des encadrants de ce niveau, cela leur permet d’aller un peu plus loin que ce qu’ils peuvent faire de leur côté : ils profitent de la caution d’un des meilleurs », poursuit Antoine Pêcher.
Pour l’ENAF, un objectif s’ajoute à ceux des hommes : la quête de l’autonomie et la sensibilisation à la prise de responsabilité. « On se rend simplement compte qu’encore aujourd’hui - au sein d’une cordée - ce n’est pas une évidence qu’une femme grimpe en tête. Une barrière culturelle persiste : les préjugés ont la vie dure dans le milieu. Durant les stages de l’ENAF, nous voulons avant tout permettre aux participantes - qui ne l’ont pas encore régulièrement expérimenté - de passer devant. »
C’était une des motivations principales à la création de l’équipe féminine en 2005. Proposer une équipe 100% féminine permettait aux participantes de s’exprimer à part entière en montagne. Et tout simplement développer l’alpinisme au féminin. « Il y a 10 ans encore, une femme dans une cordée ce n’était pas une évidence. Il fallait faire ses preuves, montrer que l’on était capable avant d’être acceptée », poursuit la jeune femme.
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« Tu connais beaucoup de femmes alpinistes célèbres toi ? Moi je n’en connais qu’une, Catherine Destivelle. Il fallait que ça change. »
Cécile Villemus,
fondatrice de l’ENAF
Rencontre sur la glace. Après une première année rythmée - notamment - par un stage fissures et grandes voix aux États-Unis...
… la 2e année a commencé sur la glace pour les deux équipes.
La cascade de glace, voilà un cadre pertinent pour évoquer le risque en montagne. « C’est une pratique particulière », confirme Antoine Pêcher, « il y a beaucoup d’aspects liés à la sécurité à gérer. » Protéger sa progression sur la glace demande de l’expérience. Solidité de la structure, condition de la glace, itinéraire à emprunter, matériel à utiliser : la glace est par définition un milieu en mouvement.
« Et puis c’est très intéressant techniquement pour un alpiniste, l’escalade sur glace, cela permet d’être agile avec des piolets. C’est important, notamment pour progresser sur des ascensions en terrain mixte. » Nous sommes allés rencontrer l’ENAM en stage à Cogne mi février.
La montagne dans le sang. Nous y avons rencontré de jeunes montagnards passionnés, impatients de partir sur leur gros projet de cette 2e année de formation, une traversée des Pyrénées à pied en passant par les plus beaux itinéraires de montagne. « Ça va vraiment être une belle expédition », confirme Antoine Pêcher, « c’est grisant de voir un projet de cette ampleur prendre forme. »
On y a vu des amoureux de la verticalité qui ne peuvent pas trop longtemps s’éloigner des sommets. « Ce que je fais quand je ne suis pas en montagne ? Je m’entraîne pour quand j’y retourne », assure Emile. « Je grimpe en falaise au soleil », s’amuse Raph. Et toi Charles ?
Ah ben quand même !