Au cœur du tumulte du Tournoi de Qualification Olympique (TQO) et au terme de la journée de qualification femme, Julia Chanourdie attend le verdict final. Assaillie par toutes sortes d’émotions contradictoires, la compétitrice se remémore le travail réalisé tout au long de l’année, pour atteindre son objectif de l’année : être sélectionnée pour les Jeux olympiques de Tokyo.
Il ne reste plus que trois concurrentes à passer dans la voie de difficulté, dernière épreuve de cette journée de qualifications du TQO. Julia Chanourdie est assise, attentive aux commentaires qui fusent autour d’elle, aux pronostiques et aux calculs d’un entourage surexcité qui semble lui signifier que c’est bon, qu’elle devrait passer en finale. Pourtant la compétitrice reste stoïque, attendant les résultats finaux pour être vraiment sûre.
En dépit du calme apparent de son visage, les pensées se bousculent dans la tête de l’Annécienne. Sa déception vécue lors des Championnats du monde lui revient en tête : « Tout s’était bien passé en vitesse et en bloc, puis j’ai flanché en difficulté, en paniquant au moment crucial de la voie. J’ai ressenti une intense culpabilité pendant plusieurs jours, et j’avais très peur de revivre ça à Toulouse. Je sais pourtant bien que c’est cette disposition mentale qui m’entrave, et que c’est cette barrière psychologique que je dois franchir, car mon physique et mes qualités de grimpe devraient me permettre d’atteindre le plus haut niveau. »
Un an et demi plus tôt, Julia Chanourdie était contactée par la direction technique nationale. La jeune femme, performante en bloc au niveau national et médaillée à l’international en difficulté, présentait des atouts de polyvalence et d’excellence qui en faisait une candidate sérieuse pour la qualification olympique : « Mais je sortais d’une année très compliquée. Des soucis personnels avaient débordé sur ma carrière sportive et je me sentais un peu perdue. Pourtant, j’ai pris cette proposition de me lancer dans le projet olympique comme une perche que me tendait la vie pour m’aider à remonter la pente. Et j’ai immédiatement accepté, comme ça, à l’instinct, sans trop réfléchir. » La jeune femme s’est très vite remise à l’entraînement. Si la pratique de la difficulté et du bloc ne l’avait jamais vraiment quittée, Julia Chanourdie a toutefois dû s’approprier une nouvelle discipline : la vitesse.
« J’appréhendais un peu la vitesse, mais finalement ça n’a pas été si contraignant, sauf au début, car ce type d’effort explosif génère tout de même beaucoup de fatigue quand le corps n’y est pas habitué. Pourtant, j’ai trouvé ça intéressant de changer régulièrement de discipline. L’entraînement était moins monotone, d’autant que j’ai appris à apprécier la vitesse. Je me voyais progresser chaque jour et j’aimais travailler chaque petit détail pour gagner quelques millisecondes à chaque séance. C’est ce qui m’a permis d’être là aujourd’hui. »
Aujourd’hui, sur le site du TQO à Toulouse-Tournefeuille, Julia Chanourdie compte les secondes et se remémorre les sensations et la fin de cette année incroyablement intense, avec 17 étapes internationales qui l’ont menée aux quatre coins du monde. « Cette année 2019 a été tellement chargée en compétitions que j’avoue que je n’ai pas vraiment pris trop le temps de réfléchir. Je devais participer à un maximum de Coupes du monde pour monter dans le classement et décrocher ma qualification pour ce Tournoi de qualification olympique, deuxième chance de décrocher le ticket pour les Jeux olympiques après le Championnat du monde. Cette année, je suis donc allée trois fois en Asie et une fois aux USA en six mois. Une saison particulièrement épuisante. »
A côté d’elle se tient son père, également son entraineur. Ce père à qui la jeune femme doit en grande partie cette carrière de grimpeuse professionnelle, selon ses propres mots : « C’est grâce à mes parents que j’en suis là aujourd’hui, confie-t-elle. Ils tenaient une salle de bloc à Annecy. Avec ma petite sœur Lucie, nous avons grandi au milieu des prises dans cette immense salle de jeu, si bien que nous savions grimper presque avant d’apprendre à marcher. C’était parfaitement naturel pour nous. A 7 ans, j’ai même eu un choc en découvrant que tout le monde ne pratiquait pas forcément l’escalade. »
A 8 ans, Julia Chanourdie participait à sa première compétition : « J’ai tout de suite accroché. Il faut dire que j’étais déjà une bonne guerrière ». Et petit à petit, avec l’augmentation de son niveau et de ses objectifs, Julia eu besoin d’un entraîneur : « Mon père, qui m’accompagnait depuis toujours sur les compétitions, a pris naturellement ce rôle. Ça allait de soi pour tous les deux. Depuis, nous n’avons pas eu de conflits majeurs, peut-être quelques désaccords, mais rien de bien sérieux car nous avons toujours bien communiqué, en veillant chacun de notre côté à toujours bien faire la distinction entre l’entraînement et l’affectif. Aujourd’hui, nous nous faisons entièrement confiance et je ne changerais pour rien au monde. »
A la dérobée, elle observe son père. Lui aussi a beaucoup de mal à cacher son émotion. Quoi qu’il arrive, une tempête émotionnelle l’attend. Pour le moment, elle se focalise sur ses sensations corporelles. Ses avant-bras sont encore crispés du combat qu’elle vient de mener dans sa voie de difficulté. « Ce Tournoi de qualification olympique, j’y suis venue vraiment déterminée. Je ne pensais qu’à ça, cette qualification olympique tournait presque à l’obsession. Au terme des épreuves de vitesse et de bloc, je savais que la qualification était à portée de mains, si je ne réitérais pas mon erreur commise sur les Championnats du monde, si je parvenais à garder mon calme dans la voie de difficulté. En isolement, avant de partir dans la voie, j’ai mené un long combat avec moi-même. Pas pour tenter d’enrayer ce stress, mais simplement en essayant de l’accepter plutôt que de le subir. C’était humain, je jouais tout de même une qualification olympique ! En partant dans ma voie, je suis dit qu’il fallait vraiment faire avec. Et malgré mon mal de ventre et mes tensions musculaires, j’ai vraiment réussi à me battre et faire une bonne performance dans cette voie. »
Sur sa chaise, Julia Chanourdie sent soudain la tension monter d’un cran avec l’arrivée de la dernière concurrente sur le mur de difficulté. La délivrance est proche. Cette journée de qualifications a été particulièrement longue et stressante. Les attentes en isolement et entre chaque discipline sont toujours complexes à gérer, mais aujourd’hui tout est décuplé compte tenu de l’enjeu olympique. Tout au long de la journée, la compétitrice a été assaillie par toutes sortes d’émotions positives comme négatives, de vraies montagnes russes émotionnelles : « J’ai la sensation d’avoir été soumise à une rude épreuve psychologique entre chaque tour. J’ai tendance à beaucoup cogiter, c’est un aspect compliqué à gérer en compétition. Pourtant, cette année, j’ai beaucoup travaillé cet aspect mental avec un thérapeute. C’est grâce à ce travail qu’aujourd’hui j’arrive à me dire que « je veux gagner ! ». Cette phrase là que j’ai souvent eu du mal à me dire, comme si je n’osais pas, ou que je n’en étais pas vraiment capable. »
Et le classement tombe, Julia passe en finale : « La finale, ça voulait surtout dire que j’étais qualifiée aux Jeux olympiques. C’était comme un énorme poids qui retombait de mes épaules, un incroyable soulagement. »
Deux jours après, en finale, Julia est libérée. L’enjeu de la qualification passé, elle n’a rien à perdre. « J’ai pris cette finale, comme un bonus. Je me suis efforcée de me mettre dans un état d’esprit idéal, celui dans lequel j’aimerais être quand je serai aux JO, c’est-à-dire grimper comme je rêverais de grimper tout le temps : me battre jusqu’au bout, sans barrière, avec le sourire, tout en étant une vraie guerrière. » Julia Chanourdie signe alors son meilleur temps sur le mur de vitesse, enchaîne par un très bon circuit de bloc pour finir avec un magnifique combat dans la voie de difficulté et décrocher la deuxième place de la compétition.
« Cette médaille d’argent m’a permis de prendre conscience que je suis vraiment capable d’être au plus haut niveau, capable d’aller chercher des médailles à l’international. J’ai compris qu’en étant complètement moi-même, avec l’envie et juste la joie d’être là, et bien ça marche. J’étais contente de pouvoir le vivre, et de réaliser que quand j’arrive à me mettre dans cet état d’esprit, tout est possible ! Dans cette configuration du combiné, il faut vraiment y croire, car tout peut arriver. »
Forte de cette confiance nouvelle, Julia Chanourdie se sent prête. Prête pour les prochains défis, prête pour Tokyo.
Crédits photos : Gael Bouquet des Chaux/FFME, Christophe Angot, Rémi Fabregue, IFSC/Daniel Gajda, IFSC/Eddie Fowke