Jean Michel Cambon s'est tué en falaise, le 12 mars 2020 à Cognet, alors qu’il poursuivait son œuvre d’ouverture sur le rocher du Trident. Un homme tombe et c'est toute une communauté qui se retrouve meurtrie, amputée de l’un de ses ouvreurs les plus prolifiques. Portrait d'un amoureux de l'escalade d'un grand acteur du milieu fédéral.
Le décès, terrible et si soudain, de Jean Michel Cambon a secoué le monde de l’escalade. Nombreux sont les grimpeurs, alpinistes et proches de ce grimpeur et ouvreur émérite qui ont déjà exprimés leur tristesse et leur désarroi face à ce vide immense qu’il laisse derrière lui. Jean Michel Cambon, était un de ces personnages discrets mais efficaces qui animés par une idéologie tenace réalisent des œuvres extraordinaires.
Et finalement, extraordinaire, c’est bien peu dire de l’œuvre de cet amoureux de l’escalade, que d’autres qualifient de quasi sur-humaine. « Je ne connais personne qui peut se vanter d’avoir ouvert autant de voies, avec autant de passion et d’abnégation, témoigne Claude Vigier, membre du comité directeur du CT38. Les faces que tous regardaient, sans jamais oser y aller, Jean-Michel y courrait. Je crois qu’il avait sublimé sa passion, de telle sorte qu’il était nourri par une énergie incroyable qui lui permettait de réaliser ce genre de projet. Et tout ce que l’on pourra dire ou écrire sur sa ténacité et sa volonté sera toujours en deçà de la réalité. »
Il a ainsi découvert et exploré des falaises oubliées ou délaissées, tels que le rocher de l’Homme ou les falaises du Drac. Il a réalisé des chantiers incroyables. Celui de « Voyage au pays de l’oxygène rare » est un bon exemple : cette grande voie de 12 longueurs qu’il a ouverte au Pavé, dans les Ecrins, nécessite presque six heures de marche d’approche, sans compter le poids du matériel nécessaire pour mener à bien une telle entreprise : Les cordes, les perfos, les accus, la centaine de gougeons et tout le matériel de nettoyage. Alpiniste de haut niveau dans sa jeunesse, Jean Michel Cambon avait enchaîné, avec Jean Marc Boivin entre 1969 et 1973, de nombreuses courses cotées ED des Alpes. Puis, dans les années 80, avec Bernard Francou, son autre compagnon de cordée, il avait écumé les parois de l’Oisans.
« J’ai fait équipe avec lui à l’époque des grandes voies des Ecrins et du Briançonnais où nous nous ingénions à dénicher les passages vierges et à y laisser le moins de traces possibles. Juste un piton à la sortie, parfois, confie Bernard Francou. Amateur de recoins peu connus, Jean Michel était peu enclin à défrayer les chroniques alpines et à jouer de sa réputation d’ouvreur prolifique. Il n’en était pas un ermite pour autant, en témoigne son solide réseau d’amis. Si certains ont fini par le lâcher, c’est moins par désaccord que parce qu’ils ne pouvaient pas suivre son rythme effréné ! Puis est venue l’autre époque. Celle où son intérêt s’est tourné vers un équipement sûr qui permettait d’ouvrir ses itinéraires à plus de répétiteurs et non seulement à une élite. Dans les deux cas, il a fait preuve d’une imagination rarement égalée pour trouver les passages les plus subtiles. »
En effet, Jean Michel Cambon s’était concentré, ces vingt dernières années, sur les voies accessibles aux grimpeurs de niveau moyen (5c /6a). Un militantisme prolifique en accord avec ses convictions. : démocratiser l’escalade. Le passage au perforateur dans les années 1990 l’a bien aidé dans son travail de création de grandes voies. Une mission d’intérêt commun qu’il accomplissait avec une inépuisable créativité, une intarissable motivation. Mu par cette forte conscience politique, Jean Michel Cambon était également fortement engagé dans son club (Escalade club de l’Isère) et au sein du comité territorial Isère de la FFME pour soutenir le développement de l’escalade.
La vente de ses topos, Oisans nouveau, Oisans sauvage, Sur la Bérarde, Ailefroide lui permettait de financer l’achat de matériel pour équiper ses voies. Il lui arrivait donc d’émettre un avis critique sur la diffusion massive et dérégulée de topos en ligne, d’où son initiative « l’Appel des ouvreurs » en 2017.
A 68 ans, toujours animé par une débordante vitalité, Jean Michel Cambon a chuté en faisant ce qu’il aimait par-dessus tout. Son héritage, des centaines de « voies Cambon », représente aujourd’hui un patrimoine inestimable. « La maintenance de son œuvre est un challenge colossal qu’il faudra relever, pour sa mémoire et surtout pour les grimpeurs des générations futures. Car c’est certainement ce qu’il aurait voulu », assure le CT 38.
« Il y a des gens qui, au cours d’une vie, construisent une œuvre avec acharnement et obstination, et d’autres qui ne comprennent pas et pensent qu’il y a là quelque chose de compulsif. Les artistes comme Jean-Michel sont de la première catégorie », assure Bernard Francou. Nous garderons le souvenir d’un JMC respectueux des valeurs et de la dimension de l’escalade, attentif aux autres lors des créations de ses voies, sans oublier son autodérision légendaire qui lui faisait répéter sans cesse : « l’escalade, c’est pour rire ».
Nos sincères pensées vont à sa famille, sa compagne, ses enfants.
Salut Jean-Michel !
Crédits photos : Bernard Francou, Babeth Rambaud, Escalade Club de l'Isère, Camille Meyer.