Cette année, Fanny Gibert a tenu ses promesses. En atteignant les objectifs qu’elle s’était fixés, elle accédait à une sensation nouvelle, un sentiment d’accomplissement. Fanny Gibert a plongé en elle-même, en quête de profondeur et de qualité. Elle y a compris les rouages de son propre fonctionnement, modulé sa manière d’aborder l’escalade pour n’en garder que le meilleur : le jeu. Ce nouveau Grande Voix est parti enquêter sur ses règles du jeu. Confidences.
En 2017, Fanny Gibert terminait sa saison épuisée, à la 9e place du classement général de la Coupe du monde de bloc. Un résultat qui faisait suite à une 6e place en 2016 et une 8e en 2018. « J’avais la sensation de stagner. Cette année a été incroyable, confie la jeune femme. Parvenir à me qualifier pour cinq finales, sur sept étapes, est une vraie fierté. Mon objectif d’être régulière au plus haut niveau a été atteint. Ma 3e place au classement général illustre cette régularité. Mais le plus important pour moi, c’est d’avoir goûté à une joie nouvelle, celle que j’avais à partir sur chaque compétition en sachant que le podium était à ma portée. »
Cette année, en plus de briguer le podium du classement général, Fanny Gibert est allée jouer jusqu’en demi-finale de la Coupe du monde de difficulté : 16e à Xiamen (CHN) et 17e à Wujiang (CHN). Un rêve éveillé pour la jeune femme, qui a, semble-t-il, intégré de nouvelles données à son mode de fonctionnement.
Entretenir le cercle vertueux
Cette année, Fanny Gibert a franchi un cap, en témoigne cette médaille au classement général. Pour la jeune femme, ce n’est finalement qu’une nouvelle marche de gravi. Son investissement de ces dernières années a fini par payer, tout simplement. « Je n’ai jamais rien lâché, même dans les moments difficiles. Ce sont ma rigueur au quotidien et mon implication totale à chaque séance qui m’ont permis d’atteindre ce top 3 cette année. Il y a cinq ans, je participais à mes premières étapes de Coupe du monde de bloc. Cinq ans, ce n’est pas grand-chose. Juste le temps d’acquérir des automatismes, de résoudre les difficultés, les erreurs que l’on a beau analyser, mais que l’on répète, involontairement. Puis, une année, on trouve sa voie, on comprend ses règles dans ce grand jeu de l’escalade. Je pense que tout vient avec le temps et l’expérience. Puis, plus on devient fort, plus on a envie d’y retourner, de donner plus. C’est un cercle vertueux : ensuite, tout s’enchaine de façon positive. Cette année, j’ai gouté à la joie que procure la réussite. »
Changer de rythme et modifier ses routines
A l’origine du déclic qui a enclenché cette année de réussite, un changement d’entraîneur. « Cela faisait cinq ans que j’étais suivie par le même entraîneur. Mon travail à ses côtés a été particulièrement intense. Cette base physique est un des atouts de ma régularité sur cette saison. Je sens qu’avec Cécile Avezou, qui m’entraîne depuis ce début d’année, j’ai pu valoriser ce travail de fond. Le fait de modifier mes routines d’entraînement, de devoir me réadapter à de nouvelles méthodes s’est avéré difficile au début pour moi. Finalement, le fait de découvrir une autre vision de la préparation m’a considérablement fait progresser. »
Prendre soin de soi pour grimper mieux
En entraînement, nombreux sont les athlètes qui ne comptent plus les heures passées sur les prises ou à soulever de la fonte. Pour 2018, Fanny Gibert a revu ce volume horaire à la baisse. « Je me suis moins entraînée cette année. Ce sont les conseils Cécile qui ont initié cette réduction de temps d’entraînement. Je devais passer moins de temps sur le mur à chaque séance, mais, en contrepartie, j’avais la consigne de monter en intensité, de me donner vraiment à fond à chaque essai. Puis à prendre un vrai temps de repos. »
Se sentir au bon endroit, quel que soit le lieu
Cette année, Fanny s’est sentie au bon endroit. Originaire de l’Île de la Réunion, la jeune femme s’est installée en métropole depuis son intégration en équipe de France et le début de ses études à l’INSA de Lyon. Aujourd’hui installée à Paris, elle enchaîne les allers-retours entre la capitale et Lyon pour mener à bien son projet de fin d’études. « Il faut y ajouter mes périples d’entraînement », s’amuse Fanny Gibert, en pleine préparation au Japon au moment où nous écrivons ces lignes. Mais le lieu géographique n’importe pas lorsque l’on sait qu’on est toujours « au bon endroit ». « Au fur et à mesure que la réussite s’installait, je me suis rendue compte que j’étais de plus en plus convaincue d’être au bon endroit, à chaque instant, et de faire ce qu’il fallait pour nourrir cette réussite. Etre sûre de soi, ne pas douter, ça aide beaucoup à être performant, à l’entraînement et en compétition. »
Garder le jeu, comme source de motivation
Jouer, prendre du plaisir et tirer le positif de chaque expérience. Cela semble facile à réaliser sur le papier. C’est beaucoup plus compliqué à mettre en application. Fanny Gibert, connue pour son exigence envers elle-même, l’assure pourtant : « L’escalade est un jeu. A l’entraînement comme en compétition, c’est ce jeu qui doit rester la principale source de motivation. De mon côté, cela fait plusieurs années que je m’évertue à être plus positive, à m’encourager moi-même. Je l’ai compris en voyageant, en rencontrant d’autres personnes, d’autres cultures. Concrètement, il s’agit parfois de simplement bien faire un exercice, bien comprendre un mouvement, et c’est bon, j’ai réussi mon entraînement. C’est une satisfaction simple, mais je m’applique à la ressentir à chaque entraînement depuis plusieurs années. Ma saison 2018 a vraiment marqué un tournant en ce sens. La relation entraîneur-athlète que nous entretenons avec Cécile m’a également soutenue pour mettre en place ce schéma psychologique : nos échanges sont toujours axés sur le positif. De fait, je sens que je suis motivée tout le temps, que je m’entraîne mieux et que je progresse vraiment. »
Prendre les moments difficiles comme des marqueurs du chemin parcouru
« Il m’arrive aussi d’avoir des moments difficiles. J’essaie de les prendre avec indulgence comme des signes que je peux encore progresser et d’analyser les points à améliorer. Cela me permet aussi de constater le chemin parcouru depuis le début et d’en éprouver une certaine reconnaissance. Je m’efforce alors de me focaliser sur l’action. Pour moi, réussir à faire un bloc que je considère comme très difficile, et d’être la seule à le faire sur une compétition, peut être plus gratifiant que de monter sur un podium. Réaliser les défis que je me suis fixée, à l’entraînement comme en compétition. C’est ça le jeu de l’escalade. »
Trouver l’équilibre entre autonomie et accompagnement
Savoir entendre les conseils de son coach tout en restant à l’écoute de ses sensations, c’est toute la subtilité de l’entraînement selon Fanny Gibert : « Pour moi, il est primordial qu’un athlète soit son propre « moteur » à l’entraînement. Mon choix de faire des études supérieures à Lyon tout en gardant un entraîneur sur Paris m’a contrainte de mettre en place un coaching à distance. Cette situation a forgé mon autonomie. Ainsi, pendant plusieurs années, j’ai appris à organiser seule mes entraînements. Un effort en termes d’organisation, d’initiatives et de rigueur, qui nécessite également de bien comprendre les rouages du coaching. Dans cette compréhension réside, à mon sens, une des clés de l’efficacité des entraînements. En m’installant sur Paris cette année, j’ai pris conscience d’une seconde clé. La proximité géographique avec mon entraîneur m’a offert l’opportunité de pouvoir bénéficier de séances coachées particulièrement précieuses : sous l’œil et les directives de mon coach, je suis poussée hors de ma zone de confort et je progresse plus vite. J’apprécie d’avoir une personne de confiance pour me guider. Elle est un rempart au surentraînement et me protège des remises en question permanentes, dans lesquelles il est facile de se perdre quand on s’entraîne seule. »
Comptez sur le groupe pour réussir et partager
Croire en soi est une étape indispensable à la réussite. Mais à l’occasion de cette saison de coupe du monde, Fanny Gibert a identifié un autre facteur porteur pour la performance : le groupe. « Nous avons une très belle ambiance en équipe de France. J’y ai ressenti beaucoup de soutien pendant mes compétitions et ce fut vraiment porteur. Plus globalement, je sais que j’ai besoin d’avoir des gens qui croient en moi. J’ai eu cette chance d’avoir toujours eu ma famille pour me soutenir, aujourd’hui j’ai aussi mes co-équipières et mon entraîneur. D’avoir de la réussite, c’est bien, mais de pouvoir la partager avec les autres, c’est tellement plus riche. »
Viser toujours plus haut
« Sentir mon niveau monter me donne envie de jouer encore. D’aller chercher toujours plus haut. Cette année, à chaque compétition, j’étais satisfaite de ma grimpe, tout en souhaitant faire encore mieux à l’étape suivante. Pour 2019, je vise des victoires en Coupe du monde de bloc, mais je vais également participer à quelques compétitions de difficulté et de vitesse pour jouer la qualification aux Jeux Olympiques de Tokyo. J’ai compris cette année que j’avais vraiment ma carte à jouer. Les limites sont faites pour être repoussées » conclut la compétitrice, malicieuse.
Crédits photos : Marc Daviet/FFME, Guillaume Peillon/FFME, Eddie Fowke/IFSC, Sytse van Slooten/IFSC, Forrest Liu/IFSC.