De 1981 à 2020, 39 années sépareront la première compétition internationale des grands débuts de l’escalade olympique. Une quête du graal sportif chahutée par des opposants farouches et nombreux, mais en laquelle d’opiniâtres conquérants ont cru ardemment. Seconde partie de la grande aventure de la compétition en escalade.
The show must go on
Au début des années 90, les organisateurs comprennent que la dimension spectacle est un impératif pour faire vivre les compétitions d’escalade.
Le changement est drastique, et il est suivi par des compétiteurs qui jouent de plus en plus le jeu de la compétition. En 1992, la Coupe du monde de Laval fut une des premières compétitions à offrir un show digne de ce nom. « A Laval, nous avons pu soigner cette partie spectacle car nous avions eu l’autorisation de monter l’événement justement dans une salle de spectacle, explique Jean-Charles Herriau, DTN adjoint. De fait, les salariés de la ville étaient à notre disposition. L’éclairage et le son étaient gérés par des professionnels. Une nouvelle teinte fut apportée aux compétitions d’escalade. »
Le clash des instances fédérales
Structurer l’escalade comme un sport traditionnel n’a rien d’une mince affaire, surtout dans un contexte fédéral houleux. Pour les alpinistes, majoritaires au sein de la Fédération française de la montagne, concourir sur des murs artificiels d'escalade manque de sens et pour certains grimpeurs, transformer une activité imprégnée de sa soif de liberté en une pratique sportive normée, avec des dossards et des médailles, en dénature l'esprit.
En 1985, comme un coup d’état, une scission est décidée. La Fédération française de l'escalade (FFE) voit le jour. Une aventure qui ne dure que deux petites années, avant une nouvelle refonte pour constituer la Fédération française de la montagne et de l'escalade (FFME) en 1987. Le premier directeur technique national est nommé. Jean-François Lemoine se lance alors dans le haut niveau en escalade avec la création des premières équipes de France sénior. En parallèle, la fédération et Paul Brasset mènent un mouvement pour convaincre l’UIAA de reconnaître la pratique et de créer un circuit international, Initiative qui donne naissance aux Coupes du monde de difficulté, puis de vitesse. Le circuit de bloc les rejoindra 10 ans plus tard. L’UIAA crée alors le Comité international des compétitions d’escalade (CICE), une entité en charge d’écrire les règles de l’escalade sportive. Pascal Mouche en prend la présidence et accentue l’influence du CICE au sein de l’UIAA. L’escalade sportive internationale se structure.
Retour en France. En 1993, Pierre-Henri Paillasson prend le poste d’entraîneur national. « Notre mission principale était de monter une équipe de France pour le premier Championnat du monde jeunes à Bâle. Et puis, nous avons très vite vu les choses en grand. Nous n’étions qu’une poignée, mais nous avions déjà ce rêve fou de l’olympisme en tête. Le seul moyen d’y arriver était d’agrandir notre terrain de jeu : développer les structures artificielles d’escalade (SAE) dans toute la France, et dans le monde entier. Nous avions conscience que la clé de notre développement résidait dans l’expansion de l’escalade sur tous les continents. » Pierre-Henri Paillasson reprend la direction technique nationale en 1998 et intègre rapidement les instances internationales pour soutenir ce lourd travail de structuration mondiale.
Structuration hexagonale par petits pas
Au fur et à mesure de la construction de murs dans les différentes régions de France, le système de Championnats départementaux, régionaux et inter-régionaux se met en place pour les compétitions de difficultés. « Cette structuration-là aura bien mis une dizaine d’années à s’établir depuis le premier Championnat de France en 1988 à Avignon, qui sacrait Jacky Godoffe et Isabelle Patissier, affirme Pierre You. C’est moi qui ai créé le système informatique de classement des points pour accompagner l’organisation de ce circuit qualifiant pour le Championnat de France. Le rendez-vous national devient alors le lieu de détection et de sélection des meilleurs grimpeurs français pour le circuit international. »
Eclosion des premiers grands compétiteurs professionnels
« Si le niveau était indéniablement moins élevé à l’époque, l’investissement des meilleurs grimpeurs était énorme. Sans entraîneur, chacun se prenait en main et trouvait ses solutions pour être toujours plus performant, jusqu’à couper les portes-matériels des baudriers pour être plus léger dans la voie. Les structures d’entraînement n’existaient pas encore ? Nous en fabriquions une à domicile, assure Arnaud Petit. Une grange familiale du côté d’Albertville abritait un des plus gros pans de France. Un pan où venait s’entraîner les meilleurs grimpeurs français, voire même les équipes de France (en témoigne la photo ci-dessous, ndlr) dans un stage coaché par Pierre-Henri Paillasson, alors entraîneur national. »
Dans l'image ci-dessus, de gauche à droite : Marie Guillet, Lise Noël, Liv Sansoz (en bas), Arnaud Petit, Jacky Godoffe, Jean Cabaret, François Petit (en haut), Pierre-Henri Paillasson et François Coffy. Les conditions d’accueil sur les compétitions internationales étaient d’un autre monde : « Equipés d’un réchaud et de nos repas, nous mangions dans les chambres d’hôtel, c’était un peu du bricolage. Je me souviens de cette compétition à Ekaterinbourg (Russie) en 1996, témoigne Stéphanie Bodet. Nous avions un mur d’échauffement grand comme trois pans Güllich et il faisait à peine 10°C dans les chambres, car le chauffage central de la ville attendait les grands froids pour se lancer. »
Les grands rendez-vous se montent en France
En 1997, un Championnat du monde est organisé au Zénith de Paris. L’épreuve du duel est testée, mais elle a vite été abandonnée : « Nous n’arrivions pas à avoir la bonne ouverture pour que cela fonctionne en termes de spectacle, explique Pierre You. Soit la voie était trop facile, et cela se transformait en compétition de vitesse. Soit le niveau requis était trop exigeant, et les athlètes chutaient trop tôt des voies. » La jeune prodige Liv Sansoz y décroche néanmoins une belle victoire. « A l’époque, j’avais déjà l’impression que nous pratiquions un sport très bien organisé et très médiatisé, confie-t-elle. Mais c’était avant l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux. Nous étions suivis par de grands médias, mais il fallait plusieurs semaines pour que les informations circulent. Aujourd’hui, le niveau des voies, le nombre de grimpeurs et la communication autour de notre sport ont pris une nouvelle dimension. Tout a augmenté et tout va plus vite ! »
Apparition spectaculaire du bloc
Il faudra attendre 1990 pour voir apparaitre la première compétition internationale de bloc, à Villebon (91). Ici, pas de prise de zone ou de bonus, seuls comptaient la réalisation du bloc et le nombre d’essais pour le réaliser. Le nombre d’ex-aequo était complexe à gérer, mais il faudra néanmoins attendre trois ans pour qu’apparaissent les prises de zones.
En 1998, Liv Sansoz et Daniel Du Lac s’offrent les premiers titres de champions de France de bloc. « Depuis, les règlements de bloc n’ont cessé d’évoluer, confirme Daniel Du Lac, entraîneur national. Dans un sens ou dans l’autre. Nous sommes revenus aujourd’hui à un règlement quasiment identique à celui proposé à la fin des années 90. Pourtant, entre temps, nous avons connu plusieurs formats. Les « duels de blocs » sur les Top Roc Challenge de Val d’Isère en 1997, mettaient en confrontation deux grimpeurs sur des blocs symétriques presque identiques. Il fallait néanmoins grimper sur les deux, et les temps cumulés des deux ascensions départageaient les grimpeurs. Puis nous avons connu les « KO systèmes », où un athlète était éliminé à chaque bloc au fur et à mesure du déroulement d’une finale. »
« Et encore les « 4 minutes plus », qui permettaient à un grimpeur de remonter sur son bloc juste avant la fin du temps règlementaire. Il pouvait alors aller au bout de son essai sans se soucier du temps. Un point de règlement qui a engendré beaucoup de retard dans les timings des compétitions. En revanche, nous avons pu observer une incroyable évolution dans l’ouverture du bloc. Bien plus spectaculaire et très impressionnants, chez les femmes comme chez les hommes, en témoigne le dernier Championnat de France de bloc à Massy. »
De l’UIAA à l’IFSC, jusqu’à l’ère olympique
Considérant les réticences de l’UIAA à s’investir sur les compétitions, la Fédération internationale d'escalade (IFSC) est fondée en 2007 afin de développer les circuits au niveau international. L’année suivante, elle est reconnue par le CIO pour une durée probatoire de deux ans, puis de manière définitive en 2010.
Le format de compétition semble bien calé pour les trois disciplines. Reste encore à le prouver aux instances du CIO. La direction technique nationale de la FFME prend les choses en main en organisant successivement en 2008, 2012 et 2016, trois grandes compétitions internationales au cœur de la capitale. La magie de Paris et la compétence de l’organisation « à la Française » ont fait de ces évènements des succès déterminants pour la suite.
En août 2016, c’est devenu officiel, l’escalade rejoint les Jeux Olympiques pour la première fois de son histoire en 2020, à Tokyo. Pourtant, un défi persiste pour l’IFSC : celui de la pérennisation. Affaire à suivre et en attendant : rendez-vous à Tokyo dans deux ans !
Crédits photos : Dino Dimeo, Loïc Jallu, Arnaud Petit, Agence Kros Remi Fabregue, FFME.