Le compte à rebours est lancé, dans moins de douze mois, les meilleurs athlètes de la planète viendront s'affronter dans la capitale française avec pour ambition de porter leurs drapeaux aux nues.
Mais si ces mois d'attente peuvent paraitre une éternité pour le public, la situation est bien différente du côté des compétiteurs et de leur staff. En effet, une olympiade s'apparente bien plus à un marathon qu'à un sprint. La réflexion autour de la performance le jour J s'accompagne d'une préparation pensée sur quatre voir parfois huit ans. Ces douze derniers mois apparaissent donc comme la dernière ligne droite d'un rêve mûrit au fil des trois dernières années, si ce n'est plus.
C'est dans ce contexte que l'équipe de France d'escalade se pose comme une des plus importantes délégations de la discipline. Galvanisée par le fait de performer devant son public et riche d'athlètes prometteurs tant que de grimpeurs d'expérience, cette dernière va chercher à placer le plus de représentants possibles sur les murs de Paris 2024.
A quoi ressemble donc la fin de ce chemin, cette montée en tension progressive jusqu'aux portes de l'Olympe. Pour mieux le comprendre, nous nous sommes entretenus avec Damien You, directeur des équipes de France et en charge des programmes olympiques.
Un nouveau format
Tout d'abord comment obtenir ce fameux sésame olympique ? L'IFSC, en partenariat avec le CIO a décidé d'un format ouvert laissant plusieurs opportunités pour les grimpeurs et grimpeuses du monde entier. D'autant plus ouvert que, contrairement à l'édition japonaise, ces Jeux Olympiques n'accueilleront non pas une mais deux disciplines de l'escalade. La vitesse d'une part, et le combiné bloc / difficulté de l'autre. Damien You, directeur des équipes de France d’escalade, abonde dans ce sens : "on est passé d'un format où les grimpeurs devaient travailler les trois disciplines à un format où la vitesse a sa propre médaille et le combiné bloc diff également. Ca permet à des spécialistes de vitesse de jouer plus leur jeu que ce qu'ils ont pu faire à Tokyo et idem pour les spécialistes en bloc/difficulté pour qui c'était compliqué de faire de la vitesse".
Ainsi trois entrées sont possibles pour les Jeux de Paris, la première est la qualification via les championnats du monde récents de Berne, avec trois places par genre pour le combiné et deux par genre pour la vitesse. Pour les athlètes qui n'auraient pas réussi à décrocher leur qualification lors de ces championnats, pas d'inquiétude, la deuxième entrée leur est toujours ouverte. Il s'agit des tournois continentaux de qualification olympique, ces derniers offrent une seule place par genre et par discipline. Le tournoi de vitesse a eu lieu en septembre à Rome, quant au combiné, il se tiendra fin octobre à Laval.
Enfin, la dernière option, et celle offrant le plus de places, est celle des Olympic Qualifier Series (OQS). Mais attention, cette option est réservée aux athlètes occupant déjà les sommets de leur sport. En effet, ces Series ne sont réservées qu'aux grimpeurs les mieux classés au ranking mondial permanent. Ce dernier est basé sur les résultats des étapes de coupe du monde ainsi que sur ceux des championnats du monde.
Après les championnats du monde, qui n'ont malheureusement pas apporté de qualification olympique à la délégation tricolore, et après le TQO de vitesse à Rome qui a vu Bassa Mawem décrocher son ticket pour Paris, il leur reste donc deux possibilités aux Français pour s'offrir une place pour les prochains Jeux Olympiques. Seulement deux ? Oui et non. En tant que pays hôte, la France a un "joker" comme nous l'explique Damien You, "il y a une place garantie par genre et par discipline pour la France à condition d'être bien classé dans l'OQS". Le cas échéant, uniquement si aucun athlète français ne prend son ticket dans chacune des disciplines, ces places seront attribuées via une sélection nationale soumise au Comité National Olympique et Sportif Français et pas suite à une qualification individuelle des athlètes sur un des trois temps de qualification possibles.
Mais cela signifie une chose : les derniers Olympic Qualifier Series devant se dérouler en juin, une grande partie des potentiels olympiens ne seront certains de participer à l'aventure olympique que quelques semaines avant les Jeux. Une source de stress ? Pas vraiment pour Damien You : "Pour ceux qui vont se qualifier au tournoi européen (à Laval en octobre) ça leur laisse plus de temps pour se préparer pour les Jeux. Maintenant si la qualification on la connait au mois de juin c'est une préparation qui est un peu différente mais ça se gère aussi sachant que la majorité des grimpeurs vont être issu de cette dernière".
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"Ce qui est important c'est la dynamique collective, c'est l'esprit de la gagne, c'est la confiance dans le groupe, ça permet de créer les conditions de la performance."
Damien You, directeur de l'équipe de France d'escalade
Les rendez-vous sont donc donnés, l'enjeu maintenant est de parvenir à briller lors de ces évènements, avec derrière soi l’engouement d'un pays entier. Une des clés repose sur la dynamique collective, car si chaque grimpeur devra arracher la qualification pour son nom, l'escalade, plus que jamais, est un sport qui se nourrit du collectif. A Berne, les spectateurs et téléspectateurs ont pu ressentir cette étincelle qui a traversé l'ensemble du groupe France lorsque les grimpeurs et grimpeuses tricolores ont fait vibrer la salle suisse. Un collectif uni et soudé qui a applaudi les performances des uns et réconforté les déceptions des autres, tous unis dans la même direction. C'est ce qu'explique Damien You, présent tout au long des deux semaines à Berne : "Ce qui est important c'est la dynamique collective, c'est l'esprit de la gagne, c'est la confiance dans le groupe, ça permet de créer les conditions de la performance. On fonctionne en groupe, on se déplace en groupe, on vit en groupe, même si bien sûr il y a de l’espace pour l’individualisation car ça reste un sport individuel. A Berne, il y avait cette dynamique-là".
Au-delà des individualités, c'est donc la création de quelque chose de transcendant pour tous les membres du collectif France qui concourt à la performance, et cela ne s'applique pas uniquement aux grimpeurs, mais à l'ensemble du staff de l'équipe de France, l'implication est et doit être totale.
Car l'aventure olympique a pour but la consécration olympique individuelle, mais elle se construit aussi par le groupe, et plus encore par le souffle de tout un pays. Sport de plus en plus populaire, l'escalade ne cesse de faire croitre l'engouement qu'elle suscite. Et si la discipline séduit de manière exponentielle, il en va de même pour l'équipe de l'élite française. Les noms et les performances de Mejdi Schalck, Oriane Bertone, Paul Jenft, des frères Mawem et bien d'autres parlent de plus en plus au public français. Et le spectacle ayant lieu à domicile, la passion n'en est que renforcée. Peu à peu, c'est toute la communauté des grimpeurs et au-delà qui se porte derrière l'équipe de France. On a pourtant souvent du mal à estimer l'influence que cela peut avoir sur des athlètes de haut niveau, mais le directeur des équipes de France insiste sur l'importance du soutien apporté aux grimpeurs : "Pour chaque grimpeur individuellement, plus il y a d’enthousiasme autour de cette équipe plus ça va être intéressant pour eux pour entretenir et favoriser cette dynamique, le sport c'est de la joie, c'est du partage d'émotions. Transmettre cette étincelle dans les yeux qu'ils ont eu plus jeune c'est très important pour eux. Ce sont des athlètes qui poussent le curseur très très loin dans leur sport, avec leurs singularités et leur style, et c'est ça que les gens viennent voir et ressentir avec eux".
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"On travaille sur quatre ans et sur huit ans pour préparer les jeux"
Damien You
Les conditions semblent donc réunies pour que l'escalade ait une belle place à la fête olympique, mais comment le staff de l'équipe de France accompagne-t-il ses athlètes vers la performance ?
Plusieurs piliers sont essentiels, le premier étant l'aspect purement sportif. Cela passe par une préparation spécifique. "Ce sont par exemple des mises en situation un peu différentes en année préolympique, surtout pour préparer aux échéances de qualification. Pour le combiné bloc/difficulté il y a eu un stage à Laval où il y aura le tournoi de qualification olympique pour être au plus près des conditions qu’ils vont rencontrer, chose qu'on ne fait pas forcément habituellement, ou du moins pas avec la même précision. Ce qui change également par rapport à avant que l'escalade soit sport olympique c'est qu'on travaille sur quatre ans et sur huit ans pour préparer les jeux, donc cela positionne de fait une stratégie rythmée tous les quatre ans et sur du long terme avec les athlètes et l’ensemble de l’écosystème en relation avec le haut niveau, y compris avec l’Agence Nationale du Sport qui nous soutient".
Cependant, les athlètes, pour être totalement dédiés à leur projet sportif, doivent avoir au maximum l’esprit libre. L’appui aux athlètes n’est pas seulement sportif et technique, il est élargi au suivi socio professionnel avec l’appui important de l’Agence Nationale du Sport et d’autres organismes. Des entretiens poussés avec les athlètes permettent de cibler leurs besoins. Cela peut prendre la forme d’aménagements des emplois du temps professionnels ou du temps académique pour les grimpeurs menant de front vie sportive et études, mais cela peut aussi se concrétiser sous la forme d’aides financières.
Une réflexion collective donc pour permettre que chacun se consacre au projet à "mille pour-cent".
L’investissement des uns et des autres est à la hauteur du but visé, pharaonique. Mais si les journées sont longues pour athlètes et entraineurs, la notion de sacrifice ne vient pas à l’esprit de Damien You : "Que ce soient les entraineurs ou les athlètes c'est un investissement conséquent pour une aventure extraordinaire, chacun fait des choix dans sa vie, Oriane a fait une interview récemment où on lui parle de sacrifice et elle répond que non, ce sont des choix. Ils ne vont pas faire la fête tout le weekend parce que leur choix c'est d'aller très loin dans leur sport. C’est cet engagement constant pour élever son niveau avec le bon état d’esprit qui permet de se donner les moyens d’avoir une chance de réaliser ses rêves".
Rendez-vous à Laval, lors des OQS puis paris donc.
Crédits photos : IFSC, FFME
Texte : Léo Vannier