Bassa Mawem en rêvait. Il se l’écrivait même chaque année en début de saison. Comme un pense bête quotidien, un motif pour s’entraîner tous les jours avec autant de détermination. Objectif : « être le grimpeur le plus fort du monde ». Durant cette dernière étape de la Coupe du monde 2018 de vitesse, le Français a vu son rêve se réaliser. Sa victoire sur l'étape lui offre l’or au classement général. Mais que s’est-il vraiment passé durant cette finale en Chine ? Plongeon à Xiamen, dans la tête et le cœur du vainqueur du classement.
Dimanche 28 octobre, 2h45 du matin en France. Bassa Mawem est prêt à en découdre. Face au mur de vitesse de Xiamen, en Chine, il observe la voie. Une voie de tous les possibles, il le sait. Quatrième du classement provisoire de la Coupe du monde après la précédente étape, le Français vise le podium au général. Les calculs et les pronostics, il ne s’en préoccupe plus. Bassa Mawem est un athlète qui vit au présent, qui s'applique à prendre chaque compétition les unes après les autres, saison après saison.
Jusqu’ici, l’année a été fructueuse pour le leader français de la discipline : trois podiums à l’international, dont une victoire en Coupe du monde et un titre de vice-champion du monde. C’est d’ailleurs la première année où il parvient à garder une si belle régularité dans chacun de ses runs, les passant presque tous sous les 6 secondes. Une année qui fait suite à son installation à Nouméa, en tant que directeur de l’équipe technique régionale d’escalade. Cette opportunité de travailler à l’autre bout du monde, Bassa Mawem l’a saisie en 2016, puis s’est astreint à une année de break vis-à-vis de la compétition. « Je m’installais, je commençais un nouveau job et surtout, je sortais de plusieurs années intenses d’entraînement au pôle France, à Paris. En vitesse, les saisons internationales commencent en mars et se terminent fin octobre. Le temps pour réaliser un vrai travail de fond est donc particulièrement restreint. Cela faisait quelques temps que je ressentais le besoin de me recentrer, pour travailler plus en profondeur. »
Philippe Boquet, président de la Ligue Nouvelle Calédonie, soutient le grimpeur dans ses entraînements et son projet sportif. La compétition et les résultats de Bassa Mawem font parties intégrantes de son travail, qui consiste également à élargir la notoriété sportive de la Nouvelle Calédonie au niveau mondial. « J’y ai passé une première année très soutenue entre mon travail et mes entraînements. Me levant chaque jour à 5h du matin pour optimiser au mieux mes journées. Au final, je n’ai jamais eu d’aussi bonnes conditions d’entraînement qu’à Nouméa. Entre le soutien sans faille de mon employeur, la météo et les structures, tout était optimal. En Nouvelle Calédonie, l’hiver n’existe pas vraiment. Le corps ne subit pas cette période qui peut être éprouvante. Aussi, j’ai pu m’entraîner toute l’année vraiment intensément. »
8e de finales : 5’’88
Xiamen, 9h45 : Le premier duel de finale se présente. Ce run est difficile à appréhender car les athlètes reprennent directement la compétition, sans tour d’échauffement. Il en faut plus pour déstabiliser Bassa Mawem. Face au Chinois PengHui Lin, il ne fait preuve d’aucune hésitation et tape le buzzer en 5’’88, signant le meilleur temps de cette phase finale. Il profite de la redescente pour se nourrir de la satisfaction d’avoir passé cette première manche avec succès. Puis très vite se reconcentre sur la prochaine phase. Les minutes sont comptées.
En quart de finale, son adversaire Muhammad Alfian (INA) réalise un faux départ. Bassa prend sa place en demi-finale.
Il n'a alors que quelques minutes pour se détendre. Un temps précieux, pendant lequel il tâche de rester concentré et actif. « J’ai toujours les mêmes attitudes : je reste debout, je saute, je monte les genoux et, cinq minutes avant le run suivant, je m’assieds pour me recentrer. Cinq minutes, c’est ma zone de confort, c’est le temps de repos que je prends systématiquement à l’entraînement entre deux essais dans la voie. »
Demi-finales : 5’’81
Sur la scène, les meilleurs sont là. Tous, sauf l’Ukrainien Danyil Boldyrev, 14e suite à une contre-performance en 8e de finale. Le podium se dévoile, l’or est presque à portée de main. Mais Bassa Mawem n’est pas dans les calculs, il ne pense qu’à sa compétition. Focalisé sur son objectif, plongé dans l’instant, il se retrouve face à la foule pour les présentations des demi-finalistes. S’il avait su qu’il arriverait aussi haut dans la hérarchie mondiale.
Ce jour de 1999, où Bassa Mawem posait ses mains pour la première fois sur une structure d’escalade, il n’aurait même pas osé en rêver. « J’ai tout de suite aimé ce sport qui me permettait de dépasser mes limites en permanence sur une multitude de structures, tout en m’offrant la possibilité de m’exprimer en compétition. »
En 2000, Bassa Mawem hésite encore entre gymnastique et escalade jusqu’à cet élément déclencheur qui l’a fait basculer complètement dans la verticalité : lors d’une de ses premières compétitions, il chute à la première dégaine d’un 6a+. Quelques minutes plus tard, un jeune compétiteur de 7 ans passe dans la même voie et l’enchaîne avec aisance. « Je l’ai très mal vécu, avoue le champion. Je me suis dit que c’était la dernière fois que ça m’arrivait. Après ça, tout a changé. Je me suis entraîné comme un forcené pendant des mois. Les années suivantes, je remportais, à trois reprises, le titre de champion d’Alsace de difficulté en catégorie jeunes. » Puis, chez les séniors, Bassa Mawem se laisse séduire par la souplesse et l’ambiance des compétitions de bloc, où il remporte quelques étapes de coupe de France.
Mais tout ça, c’était avant. Avant ce fameux jour de 2010, où Nicolas Januel et Sylvain Chapelle, entraîneurs nationaux en charge des équipes de France de vitesse, l’invitent à tester cette discipline, nouvelle en France. La voie officielle vient d’être mise en place par Jacky Godoffe et très peu de murs en sont équipés. « A cette époque, je vivais à Nancy, se rappelle Bassa Mawem. De la voie officielle, nous n’avions que les prises achetées par un ami, Romuald Bernard. Montées sur différentes parties du mur, nous optimisions l'espace disponible pour travailler, tant bien que mal, la voie par portions. »
Retour en Chine, la concentration est de rigueur pour cette phase de demi-finale, qui garantit au vainqueur une médaille d’or ou d’argent. A ses côtés, le Russe Dmitrii Timofeev, de 9 ans son cadet, est un client sérieux. Il a déjà remporté l’étape de Chongqing (CHN) cette année. Mais Bassa ne craint personne ce matin. Il semble intouchable. Son sprint, bouclé en 5’’81, lui offre une nouvelle victoire.
Finale : 5’’60
Encore quelques minutes de repos. Bassa Mawem est assis et se concentre sur son dernier duel. Les enjeux ? Les calculs ? Il s’efforce de ne pas y penser. Rester dans sa bulle est sa priorité. Se refaire encore une fois la voie dans sa tête, avec sa méthode, toujours la même depuis ses débuts. « La première fois que j’ai fait la voie de vitesse en entier, j’ai trouvé ça vraiment difficile. J’avais l’impression d’aller vite, mais vraiment, je n’allais pas vite du tout (rires). Ma méthode, j’ai mis du temps à la trouver. Quand j’ai commencé, les étrangers avaient déjà quatre ans d’avance. Grâce à eux, nous avions des modèles de méthodes. J’ai pioché dans celles qui me plaisaient pour construire la mienne et je n’en ai jamais changé. Au début, elle ne me permettait pas d’aller vite, mais j’ai progressé au fur et à mesure. Je me rends compte que j’ai mis huit ans à être régulier dans cette méthode. Car mon premier run sous les 6’’, c’était à Arco, en 2014. »
Dos à la voie, Bassa Mawem attend le top départ pour son dernier duel de la saison. Ce stakhanoviste de la vitesse est désormais d’une grande régularité. Une régularité qu’il explique également par des modifications profondes dans son hygiène de vie. « Depuis ce début d’année, j’ai mis en place des changements drastiques en matière de sommeil, d’alimentation et de récupération. Je ne mange plus de sucre, plus de malbouffe, je me couche tôt et me lève tôt. La rançon du succès est au prix de cette vie acétique, j’en suis persuadé. »
Le signal retentit. Bassa Mawem s’élance, comme une flèche. Face à lui, l’Indonésien Aspar Jaelolo avance au même rythme. Les deux hommes sont au coude à coude, personne ne commet d’erreur. Bassa Mawem, porté par la réussite, tape le buzzer avec 2 centièmes d’avance sur son adversaire. 5’’60 ! Le Français signe là son record personnel, à 12 centièmes du record du monde.
A la redescente, Bassa Mawem entend les encouragements de son frère. Mickael Mawem est bien là, toujours là d’ailleurs depuis les premières compétitions. « Je l’entends à chaque run, même quand il n’est pas là physiquement, c’est lui qui crie toujours le plus fort, s’amuse le champion. Avec Micka, nous avons six ans d’écart, mais nous sommes incroyablement soudés. Les frères Mawem, c’est plus fort que tout, c’est mon moteur principal. Nous avons eu une enfance compliquée et, aujourd’hui, nous avons à cœur de prouver que la famille Mawem est belle et forte. »
A son retour au sol, Bassa Mawem ne sait toujours pas qu’il a gagné le classement général. Après les félicitations de toute l’équipe de France et de ses principaux concurrents, c’est son ami, le Russe Stanislav Kokorin, qui vient le congratuler. « Stanislav me dit qu’il a fait les calculs, et que j’ai gagné le classement général. Je n’osais pas y croire, confie Bassa Mawem. J’avais besoin de le voir écrit noir sur blanc. »
Puis la consécration arrive : Bassa Mawem remporte l’or aux côtés d’Anouck Jaubert, sa partenaire en équipe de France. « Ce fut une année incroyable pour moi. Mon rêve se concrétise, enfin. » Mais l’Alsacien regarde déjà vers l’avenir. « Je ne peux m’en empêcher, j’ai prévu d’arrêter ma carrière en 2020. D’ici là , je dois encore battre le record du monde, monter sur la première marche des Championnats du monde et, surtout, réaliser mon principal objectif pour la saison prochaine : me qualifier pour les Jeux Olympiques de Tokyo, avec Micka. Mon frère est le grimpeur qui, selon moi, a le plus de potentiel pour représenter la France aux JO. J’ai l’impression que ma mission, c’est de lui ouvrir la voie. »
Crédits photos : FFME, Vladek Zrum, IFSC.