Les 21 et 22 août derniers, l’étape de Coupe du monde 2020 de Serre Chevalier Briançon s’est belle et bien déroulée. Il a pourtant fallu une organisation parfaitement rodée, une mécanique magnifiquement huilée pour faire face aux lourdes contraintes inhérentes à la crise sanitaire. Protéger les athlètes, le public, le staff et rassurer les autorités pour que l’escalade de compétition puisse renaître, après des mois d’une parenthèse inédite, pour que le sport triomphe.
Vendredi 23 aout, 8h50 : sur la pelouse verte du Parc des sports de Briançon le monde de l’escalade retient son souffle. Dans une dizaine de minutes, au pied du mur du Mondial de l’escalade fièrement érigé entre les montagnes, la première et peut-être la seule compétition internationale de la saison 2020 va enfin pouvoir débuter. Les athlètes sont fin prêt.es, impatient.es. Ils l’attendent depuis six mois cette première compétition internationale, depuis ce confinement soudain, depuis les multiples reports, depuis toutes ces annulations des échéances nationales et internationales.
« J’ai trop hâte de grimper, s’exclame Camille Pouget (Tournefeuille altitude grimpe), membre de l’équipe de France. Depuis mars dernier, toutes les compétitions s’annulent les unes après les autres. Ça n’a pas été facile de rester mobilisée et motivée. Mais j’avais bien conscience qu’il ne fallait pas perdre ce temps à se lamenter. Je me suis concentrée sur un objectif à plus long terme, pour continuer à progresser en général. Dès que j’ai appris que Briançon maintenait l’événement, je me suis focalisée sur cette échéance. C’était la compétition de l’année à ne pas manquer. Je suis tellement contente d’être là aujourd’hui, c’est incroyable. »
Incroyable ! Le mot revient souvent parmi les athlètes et les organisateurs. En dépit des différents arrêtés préfectoraux, des restrictions et des contraintes imposées par des mesures drastiques de sécurité, le staff de cette étape a résisté, tenu la barre contre vents et marées pour que cette Coupe du monde se réalise aujourd’hui.
9h : les premiers grimpeurs.euses s’élancent dans leurs voies de qualifications. La tension monte de leur côté tandis qu’elle retombe pour les organisateurs. « Enfin, nous y sommes ! Le soulagement se lit sur le visage de Franck Prigent, responsable de l’organisation sur place. Bien que nous ayons reçu, en début de semaine, les arrêtés validant cet événement, tout pouvait s’annuler à tout moment. D’ailleurs, nous ne sommes pas à l’abri que tout s’arrête avant les demi-finales ou les finales sur une décision de la Préfète ou sur un avis défavorable de l’ARS. Les grands rassemblements font peur à tout le monde, et principalement aux instances administratives qui seraient tenues pour responsables en cas de problème. »
Masques obligatoires dans tout le Parc des sports, distribution de gel hydro-alcoolique, distanciation physique surveillée, le dispositif en place pour le public est parfaitement au point. Idem pour les sportifs, qui bénéficient d’un protocole renforcé : prise de température de chaque athlète et ce à chaque tour, individualisation des cordes par athlète ou par nation, rotations minutées sur le pan d’échauffement, multiplication des zones d’isolement et de transit, etc. « Il faut dire que nous avons travaillé très sérieusement avec la FFME et l’IFSC pour proposer un événement de qualité, qui respecte scrupuleusement les règles sanitaires, explique Franck Prigent. Tout a été adapté, réinventé pour que cet événement puisse avoir lieu. Nous avons privilégié la carte sécurité au maximum pour rassurer les athlètes, les délégations étrangères, le public, les instances administratives. Il fallait montrer le sérieux de notre organisation. Ce qui se passe aujourd’hui sur ce mur de Serre Chevalier Briançon est une vraie récompense. »
A l’origine de ce défi, il y a trois instances très complémentaires : la fédération internationale (IFSC), la FFME et le Comité d’organisation local (COL). « Je me souviens parfaitement de cette réunion où tout a été décidé, se remémore Vincent Caussé, directeur du pôle compétitions à la FFME. Après avoir repoussé la compétition dès le mois de mai, nous devions statuer sur son annulation ou en fixer la date. Le COL semblait toujours motivé, mais nous redoutions un refus de l’IFSC. »
Pourtant, Marco Scolaris, Président de l’IFSC, semblait lui aussi déterminé à soutenir la reprise de l’escalade internationale. Lorsqu’il a demandé si le COL du Mondial de l’escalade se sentait capable de relever le défi de cette organisation complexe, Franck Prigent s’était empressé de répondre : « Oui, toujours, mais nous allons avoir besoin d’aide ».
« Nous avions alors 15 jours pour rendre le projet possible et annoncer officiellement la date de la compétition, au plus tard le 21 juin, soit 8 semaines avant l’échéance. C’est le délai règlementaire pour toute épreuve internationale en escalade, explique Vincent Caussé. Pour ma part, j’étais assez confiant quant à notre capacité à relever ce défi. Depuis plus dix ans, nos relations avec le COL de Serre Chevalier Briançon sont excellentes. Nous fonctionnons en toute transparence et c’est ce qui fait que tout est possible, même quand le challenge paraît insurmontable. »
14h : sur la pelouse du Parc des sports, le soleil est au plus haut, brûlant. La plupart des grimpeurs sont passés dans leurs deux voies et se retrouvent dans le carré qui leur est réservé pour échanger sur leurs ressentis, leurs méthodes. Ils sont une petite centaine, issus de douze nations. « La première compétition de la saison, c’est toujours celle où on se jauge par rapport aux autres, comme une compétition d’adaptation, explique Julia Chanourdie (Albanais Vertical), membre de l’équipe de France et athlète française qualifiée pour les Jeux Olympiques de Tokyo. Mais cette année, il s’agit probablement de la seule Coupe du monde de la saison, ce qui fait que cette compétition est également la plus importante de l’année. Nous avons tous serré les prises un peu plus fort que d’habitude. »
14h 30 : les résultats des qualifications s’affichent. Sur les 20 Français en lice, 17 parviennent à se qualifier pour les demi-finales. « Tous.tes étaient extrêmement motivés.ées pour reprendre la compétition et donner le meilleur d’eux-mêmes, se réjouit Cécile Avezou, entraîneure en charge de l’équipe de France de difficulté. Il faut dire que cette année a été vraiment compliquée pour tous les athlètes compte tenu du profond bouleversement du calendrier sportif. Quand les échéances s’annulent les unes après les autres, c’est difficile de se préparer et de rester motivé. Aujourd’hui, ils sont vraiment contents de tous se retrouver, de grimper à nouveau en situation de concentration et de stress, bref de vivre cette compétition qu’ils attendaient avec impatience. »
L’espace du parc se vide alors doucement et le ballet de l’organisation reprend pour la mise en place des demi-finales. Tandis que les ouvreurs redessinent les nouveaux itinéraires sur le mur, les bénévoles s’activent autour des buvettes et des snacks. Ce soir, le public est fortement attendu. « Il faut avouer que l’équilibre budgétaire de ce Mondial de l’escalade repose beaucoup sur les recettes de la buvette, confie Franck Prigent. Nous sommes sur le fil au niveau économique mais nous avons la chance d’avoir obtenu l’autorisation d’accueillir 5000 spectateurs ce soir. En cas de compétition à huit clos ou d’annulation, le manque à gagner aurait pu être considérable. Malgré tout, nous étions prêts à assumer tous les scénarios : le huis clos, la restriction du public, et même l’annulation de dernière minute. Car, plus que tout, nous voulions voir le sport renaître. Et quoi de plus beau que de le voir renaître ici, sur cette terre d’escalade de Serre Chevalier Briançon. »
Pour soulager financièrement le COL, la FFME a exceptionnellement pris en charge quelques frais supplémentaires, d’habitude à la charge de l’organisateur sur une Coupe du monde. « Nous sommes très reconnaissants de ce soutien de la fédération, ainsi que du soutien de tous nos habituels partenaires institutionnels et partenaires privés qui pour la plupart ont maintenu leur budget sur l’évènement, remercie Franck Prigent. Seuls certains partenaires locaux plus modestes ont préféré protéger leurs salariés, ce qui est parfaitement compréhensible dans cette période complexe. »
22h30 : au terme des demi-finales, ce vendredi soir, quatre Français s’offrent un ticket pour les finales : Nina Arthaud (CAF La Roche Bonneville), Fanny Gibert (Team Vertical Art), Mejdi Schalck (Chambéry escalade) et Nao Monchois (Club entre-temps). « Cette compétition est une étape importante dans la recherche d’une nouvelle normalité, précise Marco Scolaris, Président de l’IFSC. Elle nous a prouvé que tout est possible et nous a permis de renforcer notre résilience. L’engagement, la passion et la maturité de toutes les parties prenantes ont montré que, quand les conditions le permettent, nos athlètes peuvent encore nous faire vibrer. L’horizon reste perturbé, mais grâce aux efforts des autorités politiques et sportives, nous sommes optimistes pour la réussite de la Coupe du Monde 2021. »
Samedi soir, 19h : face à un public dense et averti, les 16 finalistes font le show. De ce spectacle, les 5000 spectateurs masqués retiendront certainement l’incroyable prestation de la bloqueuse Fanny Gibert qui, pour sa première finale de Coupe du monde de difficulté, décroche le bronze.
L’ascension jusqu’au top, et tout en douceur, de la jeune Italienne Laura Rogora qui s’impose devant la numéro 1 mondiale Janja Garnbret (SLO) aura également marqué les esprits. Puis tous profiteront, en clôture, de la démonstration d’un Adam Ondra (CZE) magistral et à nouveau sur la plus haute marche du podium. « C’était magnifique, s’émeut Franck Prigent. Nous avons vibré tout au long de cette aventure, et jusqu’au bout, grâce aux athlètes. Ce 31e Mondial de l’escalade, nous l’avons vécu tels des grimpeurs « à vue » : au jour le jour, sans trop savoir ce qui nous attendait le lendemain, mais sans jamais rien lâcher. Nous y avons cru, sans cesse. Alors oui, ce soir nous sommes vraiment fiers, fiers d’avoir relevé ce défi, fiers d’avoir ouvert ce chemin de reprise, fiers d’avoir prouvé que c’était possible. »
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Crédits photos : Gael Bouquet des Chaux/FFME, Christophe Angot