Deux années qu’elle lui passait sous le nez. Deux belles saisons, à multiplier les podiums, qui laissaient néanmoins un goût amer. En octobre dernier, Anouck Jaubert remportait finalement le classement général de la Coupe du monde de vitesse 2017. Enfin, la consécration pour l’une des grimpeuses les plus rapides du monde.
Deux ans qu’elle était à portée de main, juste aux bouts de ses doigts. Mais cela faisait deux ans aussi que cette victoire lui échappait, dans les derniers moments du circuit de Coupe du monde. « A croire qu’elle n’était pas encore tout à fait prête, témoigne Sylvain Chapelle, l'entraîneur national de la vitesse. Les années précédentes, Anouck avait parfois du mal à s’adapter aux différents murs des compétitions. Comme un manque de confiance en elle. Je crois que sur cette saison, nous avons réglé le problème. Cela dit, n’oublions pas qu’à ce niveau d’excellence, la concurrence est rude. Elles sont trois grimpeuses à grimper dans les mêmes cadences et à se partager régulièrement le podium. »
Les premiers mouvements d’une championne
Mais revenons en arrière. Dans les catégories jeunes, Anouck était déjà une jeune grimpeuse prometteuse en bloc et en difficulté. Pourtant, en 2011, elle goûte à la vitesse. Les sensations sont grisantes et intenses. Anouck a trouvé « sa voie » : ce sera celle du record. Pour le meilleur, souvent, et rarement pour le pire.
Nous n’en sommes qu’aux balbutiements de la discipline, mais Anouck s’y précipite. Ce qu’elle apprécie le plus, c’est l’intensité des duels : « j’aime vraiment cette manière d’être en confrontation directe avec l’adversaire, de n’avoir qu’une seule chance et de tout jouer à chaque run, confie la compétitrice, avant d’ajouter, plus calmement : sans oublier que cette discipline très exigeante nécessite un entraînement particulièrement rigoureux. Je suis passionnée par l’entraînement. J’apprécie particulièrement toute cette réflexion en amont pour trouver les petits détails qui permettent de progresser de quelques centièmes de seconde chaque année. »
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« J’aime vraiment cette manière d’être en confrontation directe avec l’adversaire, de n’avoir qu’une seule chance et de tout jouer à chaque run ! »
Anouck Jaubert
A toute allure, dès ses débuts
Dès sa première saison de pratique, Anouck empoche ses premières sélections internationales, ainsi que ses premières médailles (podiums en Coupe d’Europe et aux Championnats du monde jeunes). L’année suivante, elle remporte les Championnats du monde jeunes à Singapour. Des compétitions qui confortent la jeune femme dans sa course contre le chrono et lui offrent une solide expérience du plus haut niveau. A 19 ans, Anouck « passe la seconde », et s’apprête à courir dans l’arène des séniors.
A 20 ans, elle s’offre sa première médaille internationale. C’était à Chongqing, en 2014. « Une vraie récompense ! Après avoir terminé 4e à plusieurs reprises l’année précédente, je nourrissais une belle frustration, observe la championne. D’autant qu’en vitesse, une troisième place est toujours difficile à aller chercher : on vient juste de perdre la demi-finale, et il ne reste que très peu de temps pour s’en remettre à la fois physiquement et mentalement. Mais, cette fois-ci, j’étais préparée. Ce fut un vrai soulagement de monter enfin sur un podium de Coupe du monde. »
Une compétition qui annonçait d’ailleurs une belle saison, puisqu’elle y empoche trois médailles de bronze, deux d’argent et une d’or.
Tenir la course jusqu’au bout
Voilà maintenant deux ans qu’Anouck monte très régulièrement sur les podiums, sans parvenir à décrocher l’or au classement général de la Coupe du monde : « à chaque fois, la victoire m’échappait sur le dernier duel de la dernière compétition de la saison. Ça commençait à devenir presque insupportable ! » Si bien que cette année, l‘or au classement général fut son principal objectif.
Branle-bas de combat. Les saisons sont très longues en vitesse. En 2017, les huit étapes de Coupe du monde s’étalaient d’avril à octobre. La préparation physique dans ce cas est particulièrement complexe. Tout un art que maitrisent parfaitement Anouck et son entraîneur, Sylvain Chapelle.
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« La préparation hivernale doit être millimétrée, pour être au top dès la première manche, sans pour autant exploser en route en fin de saison. »
Sylvain Chapelle
Nouveau record sous la presse, et petits jeux de jambes
Un des objectifs de l’hiver fut le gain de force : « j’avais de bonnes qualités explosives, mais quelques carences sur la force pure, surtout dans les jambes. Nous y avons mis l’accent et mon record à la « presse » est passé de 165 à 190 kg. Soit plus de trois fois mon poids », confie la jeune femme, qui affiche bien 61 kilos pour 1m68.
Mais la force ne fait pas tout, et Anouck a également peaufiné sa technique : « je passe des heures à visionner et scruter, image par image, les vidéos des meilleurs runs d’autres athlètes. J’y observe des petits détails de placement que j’essaie ensuite de mettre en œuvre à l’entraînement. Si c’est concluant, je les ajoute à mon enchaînement ».
Ainsi, cette année, Anouck a modifié deux paramètres techniques dans sa grimpe : l’avant dernier pied est désormais placé en quart externe, et elle rentre le genou gauche avant le jeté du milieu de la voie. « J’ai vite adopté ces deux méthodes, qui me permettent d’avoir une trajectoire plus directe vers le buzzer. »
Après l’hiver vient le printemps. Au mois d’avril, Anouck entamait le circuit international. Retour sur son incroyable saison.
Chongqing (CHN), le 22 avril 2017. Première étape, Anouck se sent bien. Elle est rassurée par une préparation hivernale ciblée, qui l’a, elle le sent, vraiment fait progresser en vélocité et en fluidité. Les qualifications commencent, Anouck court dans la voie, et prend la première place du classement provisoire. Mais une erreur de placement de main, alors qu’elle est en passe de gagner son duel face à Mariia Krasavina, en quart de finale, lui est fatale. La 5e place est difficile à avaler, la confiance d’Anouck s’ébranle : « ça a été comme une claque, car je savais, avec mes résultats en qualifications, que j’avais vraiment les moyens de gagner ! »
Nanjing (CHN), le 29 avril 2017. Une petite semaine après, sur l’étape de Nanjing, Anouck a retrouvé sa motivation. Elle se place 2e après les qualifications. Elle passe l’étape des quarts de finale, mais en demi-finale, elle se retrouve à nouveau face à Mariia Krasavina. Le sort s’acharne : la voilà qui fait quasiment la même erreur que la semaine précédente, erreur qui la prive à nouveau de la finale. En petite finale, elle est opposée à Anna Tsyganova, la compétitrice russe qui avait gagné le Championnat du monde à Paris, en 2016. Mais Anouck n’a même pas le temps de bouger que la sonnerie du faux départ retenti. La Russe est éliminée, et Anouck prend le bronze, « sans gloire ».
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« Quand une saison débute de cette manière, la sérénité n’est pas simple à trouver par la suite »
Anouck Jaubert
Anouck pèche-t-elle par excès de confiance ? « En effet, je me sentais bien, et j’ai sûrement voulu trop en faire », approuve la championne. Puis, il a fallu gérer l’attente. Deux long mois de remise en question s’écoulent ainsi avant la compétition suivante, qui n’était autre que le Championnat d’Europe.
Campitello di Fassa (ITA), le 1er juillet 2017. « J’y remettais mon titre en jeu après celui glané à Chamonix en 2015. Malheureusement, c'est une compétition que je préfère oublier », regrette Anouck. En effet, après de bonnes qualifications, Anouck s’élance à peine dans son duel de 8e de finale, qu’un buzzer la stoppe net : « le faux départ s’est déclenché au moment où je suis partie ». Après une analyse pointue de la vidéo, une réclamation est déposée par l’équipe de France, mais les juges resteront sur leur position. Et Anouck est éliminée.
« Ce nouveau règlement ne pardonne pas. Là où nous avions un avertissement les années précédentes, nous sommes maintenant directement éliminées. Pour ma part, depuis ce changement, je suis justement très prudente, et je préfère perdre quelques centièmes et courir un duel, plutôt que de rester sur le carreau. A Campitello di Fassa, à mon sens, c’est une erreur de chronométrage. Une erreur qui m’a coutée très cher ». La frustration s’accumule, et commence à peser lourdement sur les épaules de la championne.
Villars (SUI), le 7 juillet 2017. La Coupe du monde reprend, avec la 3e étape. Une petite semaine après le fiasco du Championnat d’Europe. Une étape qui attestera des extraordinaires qualités de résilience de la compétitrice : « Villars fut enfin la première compétition internationale de l’année où j’ai pu m’exprimer réellement, montrer mon vrai niveau ». En deuxième position après les qualifications, elle passe tous ses duels avec brio, et se retrouve en finale, face à Iuliia Kaplina, sa « rivale de toujours », vainqueur de la Coupe du monde 2016, détentrice du record du monde et vainqueur des deux premières étapes de la Coupe du monde 2017.
Le duel de final est extrêmement serré. Au coude-à-coude les deux jeunes femmes réalisent un très beau run. Anouck y établit un nouveau record personnel (7’’59), mais l’afficheur les déclare ex-aequo sur ce duel. Dans ce cas de figure extrêmement rare, le règlement invite les concurrents à reprendre le départ, avec pour seul temps de repos la durée de la finale masculine (soit quelques secondes). « C’était très court, mais nous nous préparons à ce type de configuration à l’entraînement, en enchaînant deux runs presque sans repos. Dans mon cas, ce fut déterminant. » En effet, dans ce second duel, les deux compétitrices font des erreurs. « Mais les siennes furent plus pénalisantes que les miennes. » Anouck décroche sa première victoire de la saison, enfin !
Chamonix (FRA), annulé. En juillet, une nouvelle déception pour la grimpeuse : l’annulation de la Coupe du monde de Chamonix. C’était la seule étape en France. Une compétition qu’affectionne particulièrement Anouck, qui, portée par son public, avait gagné les deux éditions précédentes. Une opportunité de moins également pour remonter dans le classement.
Wroclaw (POL), le 21 juillet 2017. S’ils n'ont pas compté dans le classement général de la Coupe du monde, ces Jeux Mondiaux 2017 marquèrent néanmoins un moment clé de la saison. « Je crois que c’est la plus belle de mes compétitions, même si je n’ai finalement pas gagné ». En effet, elle y bat à deux reprises son record personnel : « 7’’52 en demi-finale, puis en 7’’42 après un duel de finale face à Iuliia Kaplina. Sauf que ma rivale établira elle aussi un nouveau record personnel, et donc une nouvelle référence mondiale, en 7’’32 (il était de 7’’38 depuis 2016, ndlr). »
Arco, le 25 aout 2017. Après une vraie semaine de vacances, puis trois semaines d’entraînement, la quatrième étape se tenait en Italie. Anouck est alors 3e du classement général, elle appréhende cette étape : « le mur d’Arco n’est pas parmi mes préférés, généralement je n’y ai pas de très bonnes sensations ». Elle sort néanmoins avec le deuxième temps des qualifications, et passe finalement les tours avec aisance, jusqu’à la finale, où elle se retrouve encore une fois face à Iuliia Kaplina. Mais, cette fois-ci, c’est la Russe qui fait un faux départ. « Ça fait toujours bizarre de gagner comme ça, nous livre Anouck. Mais c’est le jeu, et Iuliia est une de ces athlètes qui jouent avec le bip de départ. Cette fois-ci, elle a perdu. »
Edimbourg (GBR), le 23 septembre. Trois semaines entre deux étapes, c’est difficile à gérer, entre le repos post-compétition et celui de la pré-compétition, il ne reste qu’une petite quinzaine de jours pour des sessions d’entraînement très légères. « Du qualitatif essentiellement, avec moins de dix runs par séance, précise Anouck. »
Sur cette étape d’Edimbourg, Anouck est portée par ces derniers bons résultats. Elle sort première des qualifications. « C’est important de bien se classer en qualifications. Etre à la première place, offre un tableau favorable pour les duels de finale. Reste alors à bien grimper tout le long, sans erreur ». En finale, elle retrouve Mariia Krasavina. Le duel est serré, Anouck maintient la pression, et la Russe réalise finalement une petite erreur sur la dernière partie. Anouck l’emporte et tout à coup : « la victoire au classement général redevenait jouable ! »
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« Arco fut un tournant, j’ai senti que la victoire au classement général redevenait jouable ! »
Anouck Jaubert
Wujiang (CHN), le 7 octobre 2017. La fin de saison file à toute allure, plus que deux étapes, et comme pour boucler la boucle (ou prendre sa revanche), elles se déroulent toutes les deux en chine. Dans la tête d’Anouck, pas de doute possible : pour gagner le classement général, il faut remporter ces deux étapes. A Wujiang, Anouck se concentre, et réalise un sans-faute jusqu’à la finale. Toujours face à Kaplina, le duel est serré, et se joue à 7 petits centièmes… en faveur de la Russe. Tout s’effondre pour Anouck. Avant qu’elle ne comprenne, que non, ce n’est pas encore perdu. Mathématiquement, il reste encore une chance.
Xiamen (CHN), le 14 octobre 2017. La configuration est proche des années précédentes. Cette fois encore, tout peut se jouer sur cette dernière compétition, et même sur le dernier duel. Anouck est remontée comme une pendule. Cette année, c’est l’or ou rien ! Et justement, rien ne se passe comme prévu sur cette étape : des conditions météorologiques bouleversent l’organisation générale, et des soucis de chronométrage s’ajoutent à la confusion. A un moment, flotte même la menace d’une annulation.
Les qualifications ont finalement lieu. Deuxième du provisoire, la Française jette un œil aux résultats : Iuliia Kaplina, alors en tête du classement général de la Coupe du monde, est classée 22e. Elle ne sera donc pas sa rivale sur cette compétition. Le temps d’un soupir de soulagement, et Anouck se reprend. « Il fallait que j’assure les points, et surtout, que je gagne cette compétition. Une pression difficile à gérer ! » Alors, en bonne compétitrice, Anouck se remémore la déception et les larmes des années précédentes. « Hors de question de reproduire ce scénario. » Toute la détermination de cette grande championne remonte d’un bloc. « Je devais me détendre, pour grimper sereinement, ne pas faire les mêmes erreurs qu’en début de saison. Oublier l’enjeu, et grimper du mieux que je pouvais. »
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« Je devais me détendre, pour grimper sereine, ne pas faire les mêmes erreurs qu’en début de saison. »
Anouck Jaubert
Anouck passe les duels, imperturbable, même en demi, face à la Russe Anna Tsyganova, championne du monde en titre. Enfin, la finale arrive, surprenante, puisqu’Anouck se retrouve opposée à une Indonésienne, encore inconnue du circuit international : Aries Susanti Rahayu. Qu’à cela ne tienne, Anouck s’accroche, ne fait pas d’erreur et remporte la compétition. Et donc le classement général ! Cette victoire, tant attendue, Anouck a su la savourer, une fois n’est pas coutume, lentement, calmement, comme pour faire durer le plaisir.
Dans les starting block pour Tokyo 2020
Deux bonnes semaines de répit, puis déjà, la saison 2019 pointe le bout de son nez, et 2020 n’est pas loin ! En effet, ce sont bien des ambitions olympiques que nourrissent désormais la championne de vitesse. « Un vrai challenge, confie Sylvain Chapelle, puisqu’Anouck n’a pas fait de difficulté ni de bloc depuis quatre ans. » Un défi néanmoins à sa portée. En effet, elle fut médaillée sur plusieurs étapes de Coupe de France jeunes de bloc et difficulté, et même sacrée championne de France jeunes de bloc en 2013.
« La décision n’a pas été facile à prendre, mais le pari me motive. Ainsi, depuis ma reprise, début novembre, je m’entraîne donc également pour le bloc et la difficulté. »
A plus court terme, l’objectif d’Anouck pour 2018 sera de rester au top en vitesse : « elle a encore des portions de la voie à travailler au niveau technique pour gagner encore quelques centièmes », affirme Sylvain Chapelle. Le Championnat du monde d’Innsbruck 2018 est bien sûr dans la ligne de mire de l’athlète. Voilà un autre titre qui lui a échappé de peu par le passé. Une autre revanche à prendre ?
Crédits photos : Eddie Fowke, Symon Aksienionek, IFSC / Création graphique : Lucas Boirat