Il est un des tous meilleurs grimpeurs français. Grande Voix a pris la route, direction Fontainebleau, pour retracer l’itinéraire d’Alban Levier, le champion de France de bloc 2017. Rencontre avec un forçat de l’escalade, qui n’a plus qu’une chose en tête : grimper. De bloc en bloc.
Alban Levier n’était pas destiné à devenir le meilleur bloqueur français. Il n’est pas le fruit d’une illustre lignée de grimpeurs. Ni même un enfant ayant grandi au pied des murs. Alban Levier a commencé l’escalade à 10 ans. Pourquoi ? « Parce que je grimpais tout le temps partout, et que mes parents se sont dits qu’il y avait peut-être quelque chose à creuser derrière cette drôle de manie », s’amuse le jeune homme.
Alban Levier intègre le club de l’E.S. Massy et fait ses gammes. Participe très vite à ses premières compétitions, parce que – transfuge du judo – il a déjà l’opposition dans le sang. Une révélation ? Non. On est dans la vraie vie, pas dans un conte de fée. « Ça n’a pas marché tout de suite, loin de là. Je n’étais pas un minime/cadet qui faisait des podiums en Coupe de France. C’est venu plus tard… » assure le compétiteur. Quand alors ? En junior.
2013, la révélation. Alban Levier s’était déjà concentré sur le bloc – « parce qu’on a le droit à l’erreur en bloc. Et on est tous ensemble sur la tapis à taper des runs. C’est fun, j’ai tout de suite accroché. » En 2013, c’est le premier titre. Il devient champion de France jeunes de bloc en catégorie junior. « Un déclic. Ce jour-là je me suis dit : maintenant ma vie, c’est escalade, escalade, escalade », se souvient l’athlète.
Mais n’allez pas croire que le jeune homme est un sectaire du pan. Alban Levier a toujours été un défenseur des trois disciplines de l’escalade, à l’instar de son modèle dans ses jeunes années, le Canadien Sean McColl. « Je suis arrivé dans ce sport au bon moment. L’escalade s’enrichissait d’année en année, et j’ai eu la chance d’en apprécier chacune des facettes », assure-t-il. En 2013, il prenait aussi le bronze aux Championnats de France jeunes de difficulté. « La polyvalence a toujours été mon grand point fort de grimpeur. » Cela se vérifiera par la suite.
2014, la confirmation. « Le passage de jeunes à senior est parfois compliqué. Je dois dire que je m’en suis bien sorti… » 2014 est l’année de la transition pour le jeune homme. Une adaptation tout en douceur : fort d’une belle performance au sélectif de bloc – il termine 2e, juste derrière son mentor en bleu, Guillaume Glairon-Mondet – et quelques jours plus tard, s’envole pour la Chine avec l’équipe de France de bloc. « C’était tellement exaltant de rejoindre ce groupe, j’en garde un excellent souvenir », assure le grimpeur.
Durant cette première saison avec le maillot bleu, Alban Levier participe à sa première finale internationale à Laval. Et prend son ticket pour le combiné des Championnats du monde d’escalade de Gijón (ESP), où il termine avec le bronze, sa première médaille internationale. « A cette époque, je privilégiais encore la polyvalence. Et si depuis 2015, nous avons pris la décision avec Rémi Samyn – l’entraîneur de l’équipe de France de bloc – de me focaliser uniquement sur le bloc, je reste toujours convaincu qu’il y a des ponts évidents entre les trois disciplines de l’escalade », poursuit le champion. Mais encore Alban ?
« Le bloc, c’est de la force physique et des qualités techniques, qui sont un appui évident pour passer certains crux en difficulté. La vitesse, c’est de l’explosivité, de la synchronisation et de la coordination, un savant mélange pour sortir certains blocs spectaculaires. La difficulté demande du volume, du rythme et une endurance de force, qualités très intéressantes sur les circuits de bloc. » La messe est dite.
2015, la consécration. Fort de ses bons résultats de 2015, Alban Levier arrive à Toronto – la première étape de la Coupe du monde 2015 – des étoiles plein les yeux. Et sur le sol canadien, la magie a opéré. « Tout s’est déroulé à la perfection, à un bloc près en qualifications. Je grimpais avec envie, je ressentais beaucoup de plaisir. Pas d’injonction du type : il faut que je parvienne à ceci, je dois arriver à cela… Je bossais déjà à l’entraînement sur les aspects psychologiques, et cela a fonctionné. »
Alban Levier sort de cette compétition quasi-parfaite avec la plus belle des distinctions : une médaille d’or en Coupe du monde. Performance qu’il confirmera quelques semaines plus tard avec un nouveau podium, à Haiyang en Chine.
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« Le cerveau fonctionne comme ça, il ne fait pas la différence entre la réalité et une construction de l’esprit. Si tu arrives à lui faire croire – en te focalisant sur la technique, tes sensations et ton ressenti – que tu as déjà sorti le bloc, une grosse partie du travail est faite. »
À discuter performance avec Alban Levier, une thématique ressort en permanence. Celle de la prépondérance de l’approche psychologique de la compétition. Pourquoi ? Tout simplement parce que le grimpeur a bien conscience que c’est un de ses points faibles. « Oui c’est peut-être un enjeu plus important pour moi que pour d’autres grimpeurs », concède-t-il.
Car derrière ce regard doux, ce sourire volontaire et ce physique d’éphèbe – dénotant des contours anguleux de beaucoup de ses concurrents sur le circuit – Alban Levier est un forçat du pan. Un travailleur. Un grimpeur acharné, qui transpire l’escalade par tous les pores de la peau.
« Ma nature est celle d’un perfectionniste, qui donne énormément pour parvenir au plus haut niveau. Et il y a un revers de la médaille : j’en veux toujours plus. »
Le voilà, le côté sombre d’Alban Levier. A l‘issue de sa première saison au sommet de la hiérarchie du bloc mondial, il a découvert l’injonction du résultat.
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« À trop penser aux résultats, on se perd. Aller de bloc en bloc. Pour moi, tout l’enjeu est là. C’est comme ça que je peux gagner des compétitions. »
2016, le revers de la médaille. Alban Levier l’admet volontiers. Sa saison 2016 n’a pas été toute rose. Il partait pourtant mieux armé que jamais. « Physiquement, je n’ai jamais été aussi fort. Mais sans m’en rendre compte, je me suis construit des attentes. Il fallait que je continue sur ma lancée », analyse le compétiteur.
Et les résultats n’ont pas été au rendez-vous. S’il partait bien avec une médaille d’argent aux Championnats de France de Toulouse, il passera au travers de son circuit de Coupe du monde. « On s’investit énormément dans ce que l’on fait. Alors quand ça marche pas sur le pan de compétition, j’ai vraiment l’impression de tout gâcher. C’est vrai que ce n’est pas facile à vivre. »
Le grimpeur connaîtra aussi une déconvenue aux Championnats du monde de Paris. Il quitte la compétition à l’issue de la demi-finale, quand trois de ses compatriotes participeront à la finale. « Bercy a été frustrant. C’est la compétition que j’attendais le plus. Les premiers Championnats du monde où je pouvais jouer une médaille en bloc. Avec le recul, je réalise que je ressentais une très grosse pression. En demi-finale, j’étais tendu, crispé, je gaspillais beaucoup d’énergie. C’est une déception c’est clair. Mais elle a été plus facile à gérer en regardant les copains grimper en finale. »
Mais 2016 n’a pas été une année noire pour autant. Le Français a tiré les fruits de ses bons résultats de 2015. Il est allé grimper aux États-Unis, en Espagne. Et a signé de belles réalisations en extérieur. Ses premiers 8c et 8c+ bloc. Et une performance qui fait date sous le Toit d’Orsay.
« C’est sûr que ce genre de projets coûtent. C’est du temps et de l’énergie. Pour vous donner une idée, La Force, c’est près de 15 séances sur le site pour sortir le tracé », explique le grimpeur.
Voilà pourquoi l’athlète – en concertation avec Rémi Samyn – a fait le choix de réduire ses projets en extérieur pour la saison 2017. « La compétition et la grimpe dehors, ce n’est pas incompatible, loin de là. Pour moi pratiquer en extérieur, c’est essentiel. Au final, tout est dans la gestion du timing et dans la priorisation des ambitions », assure le grimpeur.
2017, de bloc en bloc. Prioriser la gestion du mental. Voilà la résolution d’Alban Levier à l’aube de cette saison 2017. « C’est un pari qui s’est révélé payant au Championnat de France de bloc à La Baconnière. J’ai vraiment retrouvé ce lâcher-prise. J’attendais les blocs, je les visualisais. Et ça peut paraître bête, mais dans ma tête, avant de m’élancer, je les avais déjà réalisés. » La finale est très serrée. Mickaël Mawem prend l’avantage, sans creuser un écart incommensurable. Le podium se joue sur le dernier bloc. « Quand il y a autant d’enjeu, on a tendance à ne pas vouloir prendre de risque. C’est peut-être ce qui coûte la victoire à Mickaël. Moi, je n’ai pas joué ce jeu-là, je me suis amusé sur ce dernier bloc », se souvient le grimpeur.
Et ça paye ! Alban Levier sort ce bloc 4 et prend le titre de champion de France 2017. « Avec du recul, je pense que ma saison 2016 en demi-teinte, m’a beaucoup appris sur ma manière de fonctionner. C’est dans ces périodes plus dures que l’on apprend sur soi, et que l’on se construit pour la suite. »
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« Être champion de France est au moins aussi important à mes yeux que de briller en Coupe du monde. C’est la plus grande compétition de mon pays. Je suis très fier de ce titre. »
Une vie d’escalade. Alban Levier entend bien continuer sa vie de grimpe. 50% du temps à l’entraînement et en compétition. 25% dans une salle privée, avec laquelle il travaille en tant qu’ouvreur. Et 25% du temps sur des projets périphériques. « J’aime m’investir sur des événements, faire des images. Faut que cela touche à l’escalade bien sûr. Mais l’événementiel, c’est une des choses que j’ai en tête pour la suite. » Alban, tu ne quitteras donc jamais le milieu ?
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« Je ne peux pas vivre sans grimpe. Je sais au fond de moi que je n’arrêterai jamais l’escalade. C’est inconcevable. »
Crédits photos : Guillaume Pellion, IFSC, FFME