L’épreuve de course individuelle des Championnats de France de ski-alpinisme s’est déroulée, samedi 12 janvier à Aussois, dans la vallée de la Maurienne. Posté à l’orée de la zone d’arrivée, au bout de la ligne bleue, Grande Voix s’est attardé sur les petits détails de cette organisation. Nous sommes partis à la rencontre des acteurs qui font la compétition. Enquête aux avant-postes d’une mécanique parfaitement huilée.
6h00. Ce samedi matin, au pied des pistes d’Aussois, un ballet de petites lumières défie les premières lueurs de l’aube. Levée avant le soleil, une soixantaine de bénévoles et organisateurs emmitouflés dans leur doudoune, la frontale vissée sur la tête, s’apprêtent à braver le froid glacial de la montagne endormie. Dans un grincement, le télésiège du pied des pistes se met en route. Pour le staff et les premiers coureurs, la première ascension est mécanisée.
6h30. Au sommet du premier télésiège, le groupe se sépare en deux et déjà l’aube se devine, par-delà les cimes enneigées.
Un premier groupe s’établit au niveau de la ligne d’arrivée, centre névralgique de la compétition, juchée à 2000 m d’altitude. Les autres se répartissent encore sur le montage des trois autres départs et sur le balisage des trois parcours de la course individuelle de ce Championnat de France de ski-alpinisme 2019. Les plus vaillants ont chaussé les skis de randonnée et s’apprêtent à grimper à plus de 2600 m d’altitude pour planter les dernières jalonnettes, petits fanions qui délimitent les différents parcours.
Les premiers coureurs partiront dans moins de trois heures, tout est encore à monter. Heureusement, le matériel le plus volumineux a déjà été acheminé la veille, puis entreposé dans une cabane de pisteurs pour ne pas gêner les skieurs de la station.
7h00. L’aube se lève, juste à temps pour voir émerger de la neige la tente qui abrite les chronométreurs. Les oriflammes se dressent, les délimitations de la raquette d’arrivée se dessinent. Et enfin, avec le plus grand soin, est tracée, à la bombe de peinture biodégradable bleue la ligne d’arrivée.
8h00. Les premiers compétiteurs arrivent pour l’échauffement. Alors qu’une seconde tente, celle du ravitaillement, pointe à son tour son toit de toile aux abords de la zone d’arrivée. Elle abrite plusieurs tables chargées de kilos de bananes, oranges, chocolat et saucissons. Les marmites chauffent pour offrir aux bénévoles quelques millilitres de chaleur dans un gobelet de thé. Les premiers traceurs arrivent à la montée du Grand Chatelard. Il reste encore à faire.
9h00. Les speakers s’emparent de leur micro et se chauffent la voix. Les skieurs se rapprochent, de plus en plus nombreux. Compétiteurs, accompagnateurs, coachs et quelques journalistes gravitent dans la zone d’arrivée. C’est le lieu central où l’on peut déposer ses affaires de rechange pour l’après-course, mais également partager les dernières nouvelles de la montagne et échanger sur les difficultés du parcours. « Certains de mes jeunes sont déjà partis en repérage hier, confie un entraîneur. Cela nous permet d’expérimenter la qualité de la neige, d’adapter notre fartage et de prendre les bonnes peaux. »
9h15. Le départ est donné pour les cadets, avec 960m de dénivelé positif à parcourir, les meilleurs devraient boucler leur circuit en moins d’une heure. Pendant ce temps, on s’active encore dans la montée du Grand Chatelard. La discipline du ski-alpinisme vit aujourd’hui un tournant, tant au niveau du nombre de pratiquants que du nombre de courses organisées. En effet, début 2000, seules une vingtaine d’épreuves étaient inscrites au calendrier national. Aujourd’hui, plus d’une centaine de compétitions le composent, dont huit rendez-vous en Coupe de France, cinq championnats de France et, généralement, une étape de la Coupe du monde sont proposées sur tout le territoire.
9h55. Sur la ligne d’arrivée, on murmure que les premiers cadets arrivent déjà sur le dernier poste de contrôle. Quelques centaines de mètres plus bas, les seniors sont dans les starting-blocks, le départ est imminent.
10h05. La tension monte d’un cran à l’arrivée, les séniors viennent de partir et déjà, ils arrivent ! En effet, leur parcours longe la zone d’arrivée sur quelques centaines de mètres avant de s’envoler vers les sommets pour un itinéraire de 1800m de dénivelé positif. En tête, on distingue Xavier Gachet et William Bon Mardion, favoris de l’épreuve. Les photographes ont dégainé leur appareil pour quelques images prises à la volée, mais déjà les derniers coureurs disparaissent dans la mer de nuages qui embrume les sommets bordant la Dent Parrachée.
Les 318 coureurs sont désormais tous sur leur parcours. Ce taux de participation record témoigne de l’évolution d’un sport en pleine expansion, qui accueille aujourd’hui des sportifs de tous bords. « Aux prémices du ski-alpinisme, il y a une trentaine d’années, seuls les alpinistes endurcis s’engageaient dans ces courses extrêmes de haute montagne. Mais, depuis, nous avons observé une évolution des profils : au fil des années 2000, nous avons accueilli de plus en plus de skieurs alpins, à l’instar de Laetitia Roux ou William Bon Mardion, analyse Olivier Mansiot, cadre technique fédéral, en charge du ski-alpinisme. Aujourd’hui, nous notons une recrudescence de participation des sportifs issus du monde du trail. Ainsi, il est récemment arrivé que des citadins non skieurs, mais à l’endurance exceptionnelle, se placent aux côtés des meilleurs sur des montées sèches, où la technicité en ski n’est pas primordiale. Les organisateurs observent d’ailleurs une hausse des inscriptions sur ces formats de courses verticales. Ce phénomène nous ouvre à un large potentiel de pratiquants, mais nous oblige à nous questionner quant à l’évolution de la discipline, pour des raisons de sécurité principalement. Les courses classiques comme aujourd’hui sont quasiment inaccessibles pour ce type de public. Aussi, nous réfléchissons à de nouveaux formats, plus proches des stations, avec des montées sèches, des manips, des portages, mais sans descente afin de réduire la prise de risque. »
10h10 : Le calme avant la tempête. A la radio, un contrôleur annonce l’arrivée imminente du premier cadet. C’est un local, un jeune de la vallée. Les speakers se réveillent d’un coup. Les chronométreurs ajustent leurs lunettes de soleil. Ils sont cinq bénévoles à scruter au-devant de la ligne d’arrivée. « Ce n’est pas de trop, assure Laurence Vauthier, cadre technique fédéral. Surtout lorsque les skieurs arrivent en peloton. » Quelques minutes de silence, et enfin, le jeune Anselme Damevin apparait, en tête. Les spectateurs se rapprochent, encouragent le garçon natif du village de Bramans, en contrebas de la station.
Le premier titre de champion de France de la journée tombe au moment où le soleil choisit de percer les nuages. L’ambiance change d’un coup. Les choses sérieuses commencent. « La principale difficulté dans ce type de compétition reste la versatilité des conditions, témoigne Laurent Novero, responsable de l’organisation. C’est le jeu de tous les sports outdoor, mais en montagne en hiver les contraintes sont maximales : la nivologie, la météo, la visibilité, le risque de chute ou d’avalanche sont interdépendants. De fait, les parcours sont généralement ajustés au dernier moment. Ces trois derniers jours avant la compétition, nous n’avons pas cessé les allers-retours entre le terrain et les cartes IGN pour nous assurer de la faisabilité des itinéraires, en fonction des dénivelés et des conditions d’enneigement. Pour cette course, les parcours ont été travaillés avec beaucoup de soin, nous en sommes très fiers. » Avec les quelques centimètres de neige qui se sont déposés jeudi soir et la bonne météo annoncée pour ce samedi, la compétition promet d’être une réussite.
Les contraintes de l’organisation des courses augmentent avec la notoriété grandissante l’activité. Tiraillé entre le fait de proposer la plus belle, la plus longue et la plus aérienne des courses et des exigences de sécurité de plus en plus fortes liées au nombre croissant de participants, l’organisateur doit savoir garder le juste équilibre. « Des astuces permettent de proposer une vraie course alpine tout en limitant les risques, explique Olivier Mansiot. Tels que le fait de placer les passages les plus techniques de préférence dans les montées et en deuxième partie de parcours. Cela permet de limiter les chutes et le risque d’encombrement des coureurs. Nous avons de plus en plus de coureurs de mieux en mieux préparés sur nos épreuves nationales. Cela implique plus d’exigence, plus de préparation et de professionnalisme du point de vue de l’organisation. »
10h20 : Les arrivées s’échelonnent. D’abord les cadets. Puis Justine Tonso, la première junior franchit la ligne bleue à son tour, tout sourire. Le speaker annonce alors que les seniors hommes arrivent au niveau du refuge de la Dent Parrachée. Xavier Gachet est toujours en tête, devant Samuel Equy et Matteo Eydallin, alors qu’ils franchissent une des zones les plus sauvages du parcours, au cœur même du Parc National de la Vanoise, exceptionnellement ouvert pour l’occasion.
10h39 : Maria Costa Diez, première cadette, passe à son tour la ligne d’arrivée. Les séniors quant à eux sont dans le dur, crampons aux pieds, ils escaladent le deuxième grand portage dans le couloir du Grand Chatelard. Au sommet, les contrôleurs veillent au bon respect des consignes de sécurité : garder toujours une longe sur la ligne de vie, avoir les crampons bien fixés aux pieds. « Dossards 121 et 118 : longe. Dossards 132 et 133 : crampons » grésille la radio de la présidente du jury, postée devant son écran sous la tente de chronométrage. Marion Manéglia a fort à faire : les pénalités sanctionnent les coureurs étourdis ou trop pressés quasiment en instantané sur l’ordinateur avant même leur arrivée.
10h45 : Les abords de la ligne d’arrivée se densifient. Les jeunes continuent d’arriver, certains à bout de force. Rémy Garcin, premier junior garçon et leader du parcours B, est enfin en vue. Une confortable minute le sépare de son premier poursuivant. L’annonce de l’arrivée prochaine d’Axelle Gachet Mollaret, leader mondiale de la discipline, secoue alors l’assemblée. En quelques minutes, la zone d’arrivée devient une ruche. Une ruche pour saluer la nouvelle reine de la discipline, qui s’offre plus de six minutes d’avance sur sa première concurrente Lorna Bonnel. La ligne bleue passée, la jeune femme est fraîche, prête pour les caméras, qui se disputent l’interview de la championne. Au même moment, la radio informe que son compagnon, Xavier Gachet, est toujours en tête. Il s’apprête à basculer dans la descente de la Balme, la dernière du parcours.
De l’autre côté des barrières, sur la zone de ravitaillement, Oriane, responsable administrative du comité d’organisation, s’affaire auprès des bénévoles. Entre deux chargements de bananes, elle prépare, au téléphone, la remise des podiums avec les bénévoles restés en bas de la station. « Oui, j’ai imprimé tous les logos des partenaires. Pensez à ne pas oublier les oriflammes qui sont rangés à côté », insiste-t-elle. Quelle est la plus grande difficulté qu’elle a rencontré dans l’organisation de cette épreuve ? « C’est assurément la mise à jour quotidienne des parcours. La gestion de ce type d’organisation peut évoluer de quart d’heure en quart d’heure. Nous avons dû attendre le dernier jour avant la course pour connaitre vraiment le parcours officiel. L’élaboration de tout le programme qui en découlait s’est faite dans la foulée. Demain, nous recommençons à l’aube avec l’épreuve de sprint, c’est intense. Néanmoins, nous sommes fiers de la qualité de notre organisation. Je pense que nous sommes prêts pour accueillir une étape de Coupe du monde en décembre prochain. »
11h20. Les cadets, juniors et femmes continuent d’affluer. La raquette d’arrivée est pleine. Les athlètes en sortent au compte-goutte, après être passés par la table de contrôle du matériel, où trois bénévoles vérifient les sacs des compétiteurs et s’assurent que rien ne manque. « En ski-alpinisme, pour chaque course, une liste de matériel obligatoire est dressée pour la sécurité des athlètes. Les compétiteurs évoluent en hors-piste, ils doivent donc toujours avoir sur eux un DVA, une pelle, une sonde, un sifflet, mais également un coupe-vent et un vêtement chaud… », témoigne la responsable, en apportant une nouvelle liste de pénalités au jury. Un oubli est sanctionné par des pénalités de temps, allant de quelques minutes à une disqualification. »
A trois mètres de là, sous la tente de chronométrage, les membres du jury s’affairent. « Avec le professionnalisme de notre activité, les jurys sont de plus en plus attentifs et exigeants envers les compétiteurs. Il en va de la sécurité de tous et de la crédibilité de notre sport, confie Olivier Mansiot. Les règles ont été rédigées dans un souci de sécurité et d’équité sportive. Les jurys se doivent de les faire respecter si l’on veut que le ski-alpinisme perdure et que nos athlètes continuent d’évoluer dans des conditions de sécurité optimales. »
11h40. L’agitation sur place monte encore d’un cran : les éclaireurs, au pied de la dernière montée, viennent d’annoncer l’arrivée imminente des premiers seniors hommes. « Xavier Gachet est en tête, s’exclame le speaker. Il est au coude à coude avec Mattéo Eydallin. » Le suspens monte pour ce duel final. Les yeux plissés, les chronométreurs et tous les spectateurs attendent le meilleur homme, tel un messie. C’est à qui verra le dossard du vainqueur en premier. Derrière leur camera, les journalistes peaufinent la mise au point.
11h45. « Ils sont là ! ». Le cri vient du public. Immédiatement après, on aperçoit deux coureurs l’un derrière l’autre. Xavier Gachet franchit la ligne d’arrivée en tête d’une petite seconde. Le vainqueur reprend son souffle et fait face aux caméras, face à lui, pour prendre la parole sur cette course, quand le 3e senior, Samuel Equy, franchit la ligne d’arrivée à son tour et s’écrie : « Quelle course, vivement la Coupe du monde l’année prochaine, à Aussois ! ».
NB : Matteo Eydallin s’est vu disqualifié pour crampons détachés au sommet du portage. Samuel Equy s’est offert le titre de vice-champion de France
Crédits photos : FFME, Jean-Louis Bal.